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Femmes à suivre (5) : LISA GORNICK : the absolutely fabulous dessinatrice animée.

vendredi 14 janvier 2011, par C.Line

Sortie en coffret DVD des deux films de Lisa Gornick : Do I love you ? et Tick-Tock Lullaby.


Hooters ! , le dernier documentaire d’Anna Albelo raconte l’histoire de la préparation et du tournage à Los Angeles du long-métrage The OWLS (Old Wiser LesbianS), expérience cinématographique collective menée par des figures mythiques du combat homosexuel féminin.

Hooters ! nous plonge dans cette émulsion bouillonnante de créativité, de détermination, de puissance féminines. Maquilleuses, régisseuse, actrices, trans, fems, butchs, cette troupe de lesbiennes exceptionnelles consacre toute son énergie et tout son talent à élaborer un film militant, à valeur de témoignage pour la jeune génération homosexuelle souvent ignorante des anciens combats. La caméra d’Anna saisit cette énergie fébrile, ce désir urgent d’agir, de tourner le film, d’avancer coûte que coûte, en conquérantes. Les séances de travail donnent lieu à d’intenses débats, à des joutes verbales virulentes sur la direction d’acteurs, sur la pertinence des répliques du scénario. Les prises de vues s’enchaînent à toute vitesse et le moindre problème est résolu le plus vite possible. Efficacité/Réactivité : la force de frappe du système américain impressionne.

Au milieu de cette débauche d’activités synergiques, de conversations hystériques, apparaît parfois Lisa Gornick. Lisa ressemble à une plume voletant doucement en pleine tornade. Lisa est anglaise. Imperturbable face aux provocations ou aux imprévus, elle répond avec une finesse ironique aux questions les plus scabreuses d’Anna, improvise au débotté des répliques hilarantes. Ses traits d’esprit sont brillants, son humour ravageur. Durant une réunion de travail, en plein brainstorming collectif, on la surprend en train de rêvasser et quand la réalisatrice lui demande son avis, elle sursaute, ses cheveux bouclés s’agitent un peu et avec ce fabuleux accent british :

- "It’s fascinating… It’s just…, I was thinking about sex… She said « sex », so I thought about it. And I said to myself « great ! »,… a little fantasy break. Sorry, … "

(- "C’est intéressant…. C’est juste que je pensais au sexe…. Elle a dit « sexe » alors j’y pensais. Et je me disais « ouais, super ! », je me faisais une petite pause fantasme. Désolée… ").

Lisa Gornick, concentrée, au centre.

Lisa Gornick a le regard aiguisé, un grain de beauté affolant au-dessus de sa bouche espiègle, un nez de comtesse espagnole, le visage sulfureux d’une courtisane du siècle des Lumières. Elle tient le rôle de Lily, une des quarantenaires de The OWLS. Du début à la fin du tournage, sa principale angoisse concerne la scène érotique à laquelle elle doit participer. On la sent récalcitrante et même un peu dégoûtée. Elle trouve des prétextes pour refuser, prétend que les scènes de sexe sont inutiles, gênantes pour les comédiens et pour les spectateurs. Elle suggère une version édulcorée « à la Jane Campion ». Elle hésite constamment, « to be or not to be in a sex scene », entretenant jusqu’au bout le mystère de sa décision. Le suspense s’intensifie. Dans le public, les imaginations s’échauffent. On finit par attendre avec une impatience perverse son passage à la casserole sur écran géant. Mais, à son grand soulagement et à notre immense désespoir, la séquence est finalement réaménagée en une innocente scène de « séduction » dans laquelle elle se fait voler la vedette par un énorme quartier de côtelettes d’agneau… Mais je ne vous raconterai pas tout, allez voir le film !

J’ai vu Hooters ! lors de sa sortie européenne au Festival Chéris, Chéries de Paris en Novembre dernier. Après la projection, les lumières se sont rallumées et Lisa était debout devant l’écran, en chair et en os. Elle avait assisté à la séance et participait au débat animé par Anna. Sa prise de parole a été très remarquée. Elle a insisté pour parler en français et s’est lancée dans un discours logorrhéique mémorable consistant en une suite de mots vaguement francophones mais dont l’assemblage n’aboutissait malheureusement à aucune signification intelligible. Ni Anna, ni aucune spectatrice n’a eu le cœur d’interrompre un tel élan de frénésie linguistique. Nous avons donc écouté cet interlude phonétique abscons dans un silence respectueux. Lisa s’est subitement arrêtée de parler, elle venait de réaliser que nous ne comprenions rien. Toute la salle a éclaté de rire. Elle était aussi fabuleusement drôle en réalité que dans le film.

Lisa Gornick n’est pas seulement une bonne actrice anglaise. Elle est surtout la scénariste et la réalisatrice de deux longs-métrages remarquables, œuvres phares de la culture lesbienne contemporaine : Do I Love you ? et Tick-Tock Lullaby.

Ces autofictions cinématographiques mettent en scène Sasha (Lisa Gornick), aux prises avec ses problématiques existentielles de lesbienne londonienne. Les scénarios de ses films se déroulent selon un plan narratif mixte, mêlant une voix-off parlant à la première personne et des dialogues classiques.

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Do I love you ? (2003) aborde les thématiques de la relation amoureuse homosexuelle et de l’identité sexuelle.

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Tick-Tock Lullaby (2007) est centré sur les doutes et les difficultés de la procréation et sur la question de l’homoparentalité.

Tant au plan formel que dans le traitement des sujets, Do I love you ? et Tick-Tock Lullaby s’imposent comme de vraies réussites de cinéma d’auteur.

Lisa Gornick s’empare, avec pertinence, de faits sociaux contemporains. Sa profondeur d’analyse n’entrave jamais la fluidité et la clarté de son propos. Ses choix de mise en scène d’une créativité rafraîchissante apportent une légèreté burlesque irrésistible. Son intelligence artistique produit cet équilibre subtil entre gravité et humour qui sous-tend les meilleures comédies introspectives, de Woody Allen à Nanni Moretti. Le célèbre cinéaste névrosé new-yorkais serait d’ailleurs envieux des exploits de Sasha : elle ose embrasser sa psychanalyste sur la bouche, parle de sexualité lesbienne avec son père, compare sa petite amie à sa mère dans leur lit commun !

Les errances urbaines de Sasha en bicyclette font penser à celles de Nanni Moretti qui sillonne Rome en Vespa en proie à des considérations métapsychologiques dans Journal Intime.

Dans ses longs-métrages, Lisa Gornick renoue aussi avec la tradition du film américain indépendant et notamment avec le cinéma de John Cassavetes.

Techniquement, les prises de vues sont fréquemment tournées en plan serré, accentuant la proximité du spectateur avec les personnages. La scène de danse de Tick-Tock Lullaby se superpose à celle de Faces ; gros plans, images chaotiques en lien avec l’état d’ébriété des personnages, sensations de frottements, de glissements, de contacts. Le choix des décors s’avère similaire : chambres à coucher, salons, pour les espaces privés, bars, clubs pour les espaces publics. Le spectateur, intrusif et voyeur, se retrouve au cœur de l’intimité des personnages, position idéale pour observer le spectacle tragi-comique des relations humaines.

Dans un esprit d’indépendance, Lisa Gornick a fondé en 2000, un groupe de production de longs-métrages numériques à petits budgets, Valiant Doll. Elle revendique son autonomie et refuse de céder à la nécessité de la rentabilité économique au détriment de l’objectif artistique. Et, comme dans les chefs d’œuvre de Cassavetes où tous les proches sont mis à contribution, certains membres de la famille jouent dans les films de Lisa (Aviva Gornick, sa nièce réelle et fictionnelle).

Tourné quatre ans plus tard, Tick-Tock Lullaby se révèle encore plus ambitieux que Do I love you ? grâce à des trouvailles formelles expérimentales. Lisa Gornick intègre dans son long-métrage des dessins qu’elle réalise in situ, à main levée, à l’encre et à la gouache, et qu’elle intercale entre les scènes filmées. Ces interludes contemplatifs, en forme de délicates miniatures, rythment la narration et la complètent avec une poésie très touchante. Son tracé épuré, sensible, sillonne la blancheur de l’écran pour esquisser ces vignettes colorées.

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Lisa Gornick se filme en train de dessiner son propre personnage dans son film. Ces mises en abyme à la Rembrandt, ces autoportraits de l’artiste plongée dans le gouffre infini de ses images, dépassent la simple introspection narcissique et illustrent génialement l’universelle et inlassable quête de soi.

Lisa Gornick est une dessinatrice animée avec brio ... par elle-même.

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Pour en savoir plus : le blog dessiné de Lisa.

Pour vous tenir au courant : le site de Valiant Doll.

Coffret DVD, Lisa Gornick, BQHL. En vente aux Mots à la Bouche.