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Femmes à suivre (3) : ANNA MARGARITA ALBELO : l’étoile des bergères.

mardi 30 novembre 2010, par C.Line

Back in town ! Anna était venue présenter Hooters ! en exclusivité européenne au Festival Chéris Chéries.


Vol transatlantique. Anna Margarita surgit au sommet de la passerelle ; chevelure déstructurée, lunettes noires, boa en vison, robe à pois, talons aiguilles orange vif. L’élégance d’une originale. La rumeur court déjà. Les portables vibrent de bonheur dans les poches de treillis, les ordinateurs clignotent fébrilement de messages arc-en-ciel, les flyers fleurissent sur les comptoirs des bars.

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Shez back, back in town. Chaque année, son apparition est vécue comme une résurrection par toutes les filles de la capitale. Enfin, on va ressortir, s’amuser, danser sur de la bonne musique, boire des cocktails fluorescents, et peut être même finir la nuit avec une intouchable qu’on n’a jamais osé aborder. Anna est revenue. C’est le printemps en novembre. Les filles se bousculent pour plonger dans la moiteur bestiale de ses ambiances uniques, sa présence les galvanise, réveille les démones. Avec son don de la fête et sa joie communicative, Anna est la première qui a réussi à faire sourire les gouines parisiennes.

Flash Back.

En 1995, elle a bouleversé le quotidien rassis de la masse neurasthénique des lesbiennes françaises dont les goûts musicaux se cantonnaient à Mecano et Véronique Sanson en créant sa soirée mythique, la Ladies Room. Dj’s de qualité (Sex Toy, Jennifer Cardini, Chloé), ambiance chaleureuse et désinhibée, le rendez-vous mensuel était incontournable. Parking en sous-sol, cabaret old school, bar australien, la Ladies Room itinérante se métamorphosait, créait l’événement, s’élevait au rang de performance artistique. L’humour de la Chocha (son nom de scène), son enthousiasme gouailleur, sa détermination de guerrière nocturne, ont ensorcelé une génération entière d’homosexuelles. A son contact, les parigotes se sont révélées sympas, sexy, branchées. Et puis, un jour, Anna s’est envolée pour aller secourir d’autres inverties malheureuses. Le déchirement a été cruel. Le Pulp tenta alors de nous consoler avec son atmosphère underground, ses sets pointus, ses barmaids hyper sympathiques. Ce n’était pas pareil.

Désormais, Anna fait trop rarement escale à Paris. La Ladies Room, phénix nocturne, célèbre alors le retour de la déesse cubaine, qui, au son de sa voix vaudou, charme les filles enivrées de musique et d’amour, les transporte sur les vagues extatiques d’une nuit humide, en ramène certaines au rivage de leur jeunesse insouciante. Dans cette intimité retrouvée, la soirée se voile de brumes mélancoliques semblables aux retrouvailles d’anciennes amantes, qui, au matin, se sépareront, une fois encore, pour toujours.

Anna est arrivée avec une autre bonne surprise. Son premier long-métrage Hooters ! débarquait avec elle, pour une projection en exclusivité européenne dans le cadre de Chéris Chéries, festival de cinéma gay et lesbien de Paris. Car Anna Margarita Albelo est avant tout une cinéaste fructueuse. Courts métrages, publicités, clips vidéo, son talent polymorphe est reconnu dans de nombreux pays.

Découvrir les films d’Anna.

J’avais vu certains de ses travaux antérieurs et notamment son documentaire extatique sur le week-end string, tequila, kissing, le Dinah Shore festival qui a lieu chaque année à Palm Springs. Dans Broute minou à Palm Springs, Anna se met en scène avec une exagération burlesque irrésistible et un second degré ravageur. L’apparition des techniciennes de l’équipe dans le film, les interviews filmées au débotté, les scènes « privates parties » dans les chambres d’hôtels, le montage efficace, rythmé, créent une proximité immédiate entre le spectateur et les personnages. Son cinéma est aussi drôle, énergique et torride qu’elle.

Dans le programme Chéris Chéries, Hooters !, était présenté comme un complément au film the Owls de l’afro-américaine Cheryl Dunye (the Watermelon Woman), en compétition au festival.

The Owls est l’aboutissement de la collaboration de plusieurs lesbiennes emblématiques du combat militant des années 1990. Sarah Schulman (auteur du livre After Dolores) a participé au scénario. Guinevere Turner (Go Fish, The L Word), V.S. Brodie (Go Fish), Lisa Gornick (Do I Love you ?, Tick Tock Lullaby), Deak Evgenikos (Itty Bitty Commitee) interprètent les rôles principaux et interviennent aussi dans les décisions prises lors de la préparation et du tournage du film. La trame fictionnelle est un thriller noir, drôle et percutant dans lequel quatre lesbiennes « expérimentées » de plus de quarante ans (Old Wiser LesbianS) tuent accidentellement une baby dyke. Parallèlement, les actrices s’interrogent sur l’état de la « Lesbian Nation », sur la transmission de leurs valeurs militantes à une jeune génération considérée comme indifférente voire ignorante des anciens combats féministes.

Guinevere Turner au premier plan. V.S Brodie au second.

N’ayant pas vu the Owls, le jour de la projection de Hooters !, j’appréhendais un peu de rater le propos principal du documentaire.

Hooters ! s’impose d’emblée comme une œuvre complète qui dépasse le seul exercice du making of. Comme à son habitude, Anna apparaît dans des séquences hilarantes, mélanges ludiques de films d’horreur de séries B, de mime Marceau, de vignettes cotonneuses à la David Hamilton... Mais au-delà du potentiel comique de cette nouvelle réalisation, Anna réussit, dans le même mouvement, à aborder les thématiques fondamentales de l’action militante dans le paysage culturel actuel ; représentation de la lesbienne au cinéma, différences intergénérationnelles, interraciales, question du genre…

En position d’observation non participative, Anna interroge, espionne, avec une lucidité espiègle, les artistes activistes de the Owls. Elle esquisse ainsi une mise en perspective de l’expérience cinématographique communautaire, elle-même véritable mise en abyme du cinéma lesbien (les actrices de the Owls s’inspirent de leur propre vie et commentent leur rôle dans des séquences intégrées à la structure narrative). En filmant les réunions où les différentes protagonistes débattent de la pertinence de telle ou telle réplique du scénario ou de la direction des personnages, la caméra d’Anna éclaire les obstacles, les préjugés raciaux et identitaires, les contradictions. Hooters ! révèle avec une clarté exemplaire la complexité des rapports interpersonnels et la multitude de problématiques soulevées par leur entreprise collective. Le talent d’Anna est d’avoir associé à un propos théorique dense, un ton léger et drôle, sans rien omettre des enjeux de the Owls, réussissant au contraire, à en dévoiler toutes les subtilités, toutes les nuances…

Cheryl Dunye. Lisa Gornick. Skyler Cooper.

Hooters ! restera, selon moi, un film documentaire incontournable dans l’histoire du cinéma lesbien. Il recueille les témoignages exceptionnels d’une pléthore d’artistes fondatrices du mouvement d’émancipation homosexuelle qui ont le courage de faire le bilan de leurs actions, de partager leurs visions et leurs désillusions. Anna a su capter leur puissance, leur intelligence, leur sens de la dérision. Guinevere Turner, Lisa Gornick et toutes les autres complices du projet se prêtent au jeu ; sincères, touchantes, amusantes, libérées. Ici encore, la cinéaste réussit à créer un lien chaleureux, spontané avec des femmes qui acceptent de se livrer, de s’abandonner en toute simplicité. Anna possède le don de l’intimité.

La mère d’Anna était assise au premier rang et voyait, pour la première fois, le long-métrage de sa fille dans une salle de cinéma. V.S Brodie (la fille à lunettes et cheveux longs de Go Fish) et Lisa Gornick (aussi sulfureuse, spirituelle et séduisante que dans le documentaire) étaient présentes et ont participé au débat qui a suivi. La projection a été accueillie par une salve d’applaudissements fournis et de petits cris ravis. Du pur Hollywood. Après avoir fait sourire les parisiennes en soirées, Anna a réussi à les émouvoir au ciné, un exploit plus grand encore !

Notez qu’elle cherche un distributeur pour une édition en dvd de Hooters !. Si vous avez un filon, contactez la sur son site ou sa page facebook.