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UNE CHAMBRE A SOI

jeudi 14 mars 2013, par Sophie

Extrait de "Une chambre à soi" de Virginia Woolf. p.54 de l’édition 10-18, traduction de Clara Malraux.


"Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle. Les gloires de nos guerres seraient inconnues. Nous en serions encore à graver sur des os de mouton de maladroites silhouettes de cerfs et à troquer des morceaux de silex contre des peaux de brebis ou quelque ornement simple qui satisferait notre goût encore vierge. Les surhommes et les Doigts du Destin n’auraient jamais porté de couronnes, ou ne les auraient jamais perdues. Les miroirs peuvent avoir de multiples visages dans les sociétés civilisées ; ils sont en tout cas indispensables à qui veut agir avec violence ou héroïsme. C’est pourquoi Napoléon et Mussolini insistent tous deux avec tant de force sur l’infériorité des femmes ; car si elles n’étaient pas inférieures, elles cesseraient d’être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux hommes. Et cela explique aussi pourquoi la critique féminine inquiète tant les hommes, pourquoi il est impossible aux femmes de dire aux hommes que tel livre est mauvais, que tel tableau est faible ou quoi que ce soit du même ordre, sans faire souffrir davantage et éveiller plus de colère que ne le ferait un homme dans le même cas. Si une femme, en effet, se met à dire la vérité, la forme dans le miroir se rétrécit, son aptitude à la vie s’en trouve diminuée. Comment l’homme continuerait-il de dicter des sentences, de civiliser des indigènes, de faire des lois, d’écrire des livres, de se parer, de pérorer dans les banquets, s’il ne pouvait se voir pendant ses deux repas principaux d’une taille au moins double de ce qu’elle est en vérité. Ainsi pensais-je, émiettant mon pain, remuant mon café et de temps à autre regardant les gens dans la rue. L’apparition dans le miroir est de suprême importance parce que c’est elle qui recharge la vitalité, stimule le système nerveux. Supprimez-la et l’homme peut mourir, comme l’intoxiqué privé de cocaïne. C’est sous le charme de cette illusion, pensai-je, regardant par la fenêtre, que la moitié des gens sur ce trottoir courent vers leur travail. le matin ils mettent chapeaux et habits sous ses agréables rayons ; ils savent que Miss Smith les attend pour le thé ; aussi commencent-ils leur journée confiants, réconfortés ; entrant dans la pièce ils se disent :"Je suis supérieur à la moitié des gens qui se trouvent ici", et c’est pour cela qu’ils parlent avec cette confiance en eux, cette assurance si lourde de répercussions sur la vie publique et qui aboutit à de si curieuse notes en marge de l’esprit individuel."


L’avis de FFF : "Une chambre à soi" a été écrit en 1929 et demeure, d’une inquiétante façon, d’actualité. Contrairement à ce que peut laisser penser l’extrait assez sérieux ci-dessus, l’ensemble est enlevé et très agréable à lire, Virginia faisant preuve de beaucoup d’humour. Le propos de son essai est d’exhorter les femmes à créer, tout en faisant la démonstration que sans une chambre à soi, qu’on peut fermer à clef, et 500 livres de rente, point de salut. C’est la bible de toute apprentie artiste ou féministe qu’on peut relire sans cesse, Virginia faisant preuve ici aussi de son génie romanesque.

Ma question : "Une chambre à soi" est-il disponible à la vente, en langue locale, dans les pays de religion radicale ? (si quelqu’un avait la curiosité de chercher à Abu Dhabi, Le Caire, Jérusalem, ...)


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Cet article a été publié la première fois le 11 novembre 2009. Mais vu que le texte ne se démode pas...

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