Extrait de : "LA CHRONIQUE DE CHRISTINE ANGOT" parue dans TETU juin 2004.
(...)
"Je suis une fille donc je me plains, je suis hystérique c’est à dire que j’ai la maladie de l’insatisfaction. Je suis insatisfaite, je ne suis pas satisfaite. Je n’ai pas ce que je voudrais. Quelque chose me manque toujours. J’en parle beaucoup, et pourtant je ne le cherche pas vraiment, je fais juste semblant. Ce qui me manque c’est la satisfaction sexuelle. Je suis insatisfaisable. Et d’abord je dis toujours non.
L’autre jour dans un dîner, nous étions cinq autour d’une table. Quelqu’un me propose de reprendre des fraises. Je dis non. Et il me dit : de toute façon Christine, tu dis toujours non. Tu commences toujours par dire non. J’étais découverte, percée à jour. Quelqu’un que je connais trés peu avait dit de moi le principal. De tous les sujets qu’on avait abordés, il avait retenu le mot essentiel : non.
Et donc je suis insatisfaite. Parce que je trouve dommage de traverser la vie comme ça. Mais je suis un refus. Toute ma personne est un refus. Et ce que je refuse me manque. Et le fait de refuser m’enferme moi-même.
Aujourd’hui, il est beaucoup question du mariage des homosexuels. Dire oui à la personne du même sexe. Comme les hétérosexuels : oui. Pas oui au sexe opposé, mais oui quand même. Oui à la personne qui vous attire. Je me suis demandé parfois si j’étais homosexuelle, puisque je n’arrive pas à dire oui à un homme. (Je dis oui, mais je dis plutôt : oui mais.) Mais ce n’était pas le problême, être homosexuelle c’est être attirée par les filles, ce n’est pas avoir peur des garçons. Or moi, j’ai peur des garçons. Et depuis trés longtemps. Depuis bien avant d’avoir un inceste avec mon père. Je n’ai pas accepté ni refusé d’avoir un inceste avec mon père. Toute parole était vouée à l’échec, je suis devenue la parole elle-même, et comme cette parole était un refus, je suis devenue un refus. Dans la vie, je n’ai même pas besoin de dire non, tellement je suis un non.
Mais j’avais peur bien avant. Dans l’immeuble où j’habitais, entre 6 et 13 ans, je prenais l’escalier, j’habitais au septième étage, parce que j’avais peur de me retrouver avec des garçons dans l’ascenceur. Et aujourd’hui rien n’a changé, j’ai toujours peur. Peur de quoi, il faudrait que j’arrive à répondre à ça. C’est une peur irrationnelle, et qui a dû traverser plusieurs générations avant d’arriver jusqu’à moi.
Hier j’ai déjeuné avec ma mère, j’ai essayé de lui dire que cette peur m’avait été transmise, mais elle a fait celle qui n’était pas du tout concernée. Elle vit avec un homme depuis vingt ans, mais elle en a fait une femme, il n’y a pas que les homosexuels qui soient homosexuels. Et elle dépense beaucoup d’énergie pour que les gens de l’extérieur ne se rendent pas compte qu’elle en a fait une femme. Par exemple au restaurant elle tient beaucoup à ce que ce soit lui qui paye, elle lui susurre au moment de l’addition le code de la carte Bleue dans l’oreille. Mais quand le garçon arrive, il l’a oublié, alors il le demande devant le garçon. Tout le système échafaudé s’écroule."
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