(Les réflexions qui suivent portent sur les relations des femmes entre elles. Le terme "relation privilégiée" désigne ici une relation intime entre deux femmes. Sinon j’indiquerais bien clairement dans le texte qu’il s’agit des rapports des femmes avec les hommes.)
La conception mâle et séculaire de l’honneur.
La "parole" d’un homme suffisait - aux autres hommes - sans autre forme de garantie.
"Our Land Free, Our Men Honest, Our Women Fruitful" : Que notre pays soit libre, nos hommes intègres, nos femmes fertiles.
Toast américain populaire à l’époque coloniale.
L’honneur mâle a quelque chose à voir avec le fait de tuer : "Je ne saurais t’aimer tant, mon amour, si je n’aimais l’honneur plus encore". (A Lucaste, en partant en guerre".) L’honneur mâle a besoin d’etre vengé, d’où le duel.
L’honneur des femmes, quelque chose de tout à fait différent : la virginité, la chasteté, la fidélité au mari. Notre honnêteté pouvait s’arrêter là : elle n’avait pas d’importance. On nous a décrites comme étant foncièrement capricieuses, tricheuses, évasives, incertaines. Et on nous a récompensées pour nos mensonges.
Les hommes devaient dire la vérité à propos des faits et non des émotions. On ne s’attendait même pas à ce qu’ils parlent de leurs émotions.
Pourtant, ils ont menti continuellement et même à propos des faits.
Nous prenons pour acquis que les politiciens n’ont aucun sens de l’honneur. Nous essayons de lire entre les lignes de leurs discours et de leurs déclarations. Le scandale, ce n’est pas tant qu’ils mentent, mais qu’ils le fassent avec une telle indifférence, une telle ténacité, et qu’ils s’attendent toujours à ce qu’on les croie. Nous avons l’habitude du mépris inséparable du mensonge politique.
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Pourtant quand nous nous apercevons qu’on nous a menti, à l’intérieur d’une relation privilégiée, on a l’impression de glisser vers la folie.
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Il y a le mensonge des mots et aussi celui du silence.
Parfois la femme qui ment dans ses relations personnelles peut préméditer ou inventer ses mensonges. Parfois non. Elle peut même ne pas se rendre clairement compte de ce qu’elle fait.
Un sujet vient sur le tapis et celle qui ment veut l’eviter. Il faut qu’elle sorte : elle doit mettre de l’argent dans le parcmètre... Ou elle se souvient tout à coup d’un coup de téléphone qu’elle aurait dû faire il y a au moins une heure.
A brûle-pourpoint on lui pose une question qui risque d’entrainer une discussion pénible : "Comment ressens-tu ce qui se passe entre nous ?" Au lieu d’essayer de décrire ses émotions, dans leur ambiguïté et leur confusion, elle demande. "Et toi, comment te ressens-tu ?" L’autre, parce qu’elle essaie d’établir une relation ouverte et confiante, explique comment elle se sent. Ainsi, celle qui ment en apprend plus long qu’elle n’en dit.
Et elle peut aussi se mentir, prétendre que ce qui la préoccupe, ce sont les sentiments de l’autre et non les siens.
Mais celle qui ment se préoccupe en fait de ses propres sentiments.
Celle qui ment vit dans la peur de perdre le contrôle de la situation. Elle ne peut même pas désirer une relation sans manipulation car se rendre vulnérable devant quelqu’un représente pour elle une perte de pouvoir.
Celle qui ment a beaucoup d’amies et mène une existence d’une grande solitude.
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Une relation humaine véritable, c’est à dire une relation dans laquelle deux personnes sont en droit de parler d’"amour", se vit comme une transformation délicate, intense et violente, souvent terrifiante : une transformation où se façonnent et se raffinent les vérités qu’elles pourront se dire l’une l’autre.
Cette démarche est importante parce qu’elle brise notre isolement et réduit les possibilités de méprise sur nous-même.
Cette démarche est importante parce qu’elle nous permet d’assumer notre propre complexité.
Cette démarche est importante parce qu’il y a peu de gens sur qui nous pouvons compter, peu de gens avec qui nous pouvons nous engager dans ce cheminement difficile.
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Pourquoi avons-nous l’impression de glisser vers la folie lorsqu’on se rend compte qu’on nous a menti dans une relation privilégiée ?
Une grande partie de notre connaissance de l’univers repose sur la confiance. Tu me dis : "En 1950, j’habitais du côté nord de la rue Beacon à Somerville". Tu me dis : "Nous avons été amantes elle et moi mais depuis des mois nous ne sommes que de bonnes amies". Tu me dis : "Dehors il fait 35° et il fait soleil". Parce que je t’aime, parce qu’il n’est même pas question de mensonges entre nous, j’acceuille ces descriptions de l’univers avec confiance : ton adresse d’il y a vingt-cinq ans, ta relation avec une femme que je ne connais que de vue, le temps qu’il fait ce matin.
Et sans que j’en sois consciente, c’est comme si autour de ces affirmations, si claires et si précises, germaient et s’enroulaient instantanément de petites pousses de confiance.
J’intègre ces informations dans la mosaïque de mon univers. Je permets à mon univers de se modifier de manière intime mais significative à partir de ce que tu viens de me dire, à partir de la confiance que j’ai en toi.
J’ai confiance en toi. Je sais que tu me diras tout ce qu’il est important que je sache, que tu ne me cacheras rien même pour m’épargner ou t’épargner de la souffrance.
Ou du moins tu me diras : "Il y a des choses que je ne dis pas".
Découvrir que quelqu’un à qui on faisait confiance n’est plus digne de cette confiance, nous force à remettre en question l’univers, à remettre en question à la fois l’instinct qui nous pousse à avoir confiance et la notion même de confiance. Pendant quelques temps nous nous retrouvons projetées sur une corniche balayée par un vent froid ; dans des ténèbres trouées de flammes ; emportées dans des torrents de pluie ; dans un monde où n’existent pas encore le sens de la parenté, le nom ou la tendresse ; nous nous rapprochons du chaos.
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Wiki rich en anglais
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"[Art] means nothing if it simply decorates the dinner table of the power which holds it hostage."