Extrait d’un extrait des "Grandes voix du féminisme" ; p.135 à 136 du supplément du Monde n°23 dans la catégorie "les livres qui ont changé le monde", avec le concours des éditions Flammarion. 4€90.
"LA MATERNITE
Voici le grand argument, le sceau de la chaîne, par laquelle on attache de tout temps la femme à la case, au gynécée, et maintenant au foyer*. On n’en saurait méconnaitre l’importance. Il faut seulement voir si on ne l’a point exagérée, si même, d’un point de départ vrai, on n’est pas arrivé à de très fausses conséquences.
Qu’est-ce que la maternité ?
Le chœur des littérateurs et des poètes répond par des acclamations enthousiastes ; et même ailleurs, point de tête qui ne s’incline. La maternité, c’est le triomphe de la femme, sa grande et suprême fonction ! sa morale ! son génie ! la source inépuisable et sacrée des inspirations sublimes et fécondes ! l’océan d’amour ! etc.
Bon ! Mais en quoi consiste-telle ? Non pas seulement sans doute à concevoir l’enfant, le mettre au monde, l’allaiter ; c’est le fait de toutes les femelles, qui toutes soignent leur fruit avec amour. La mère humaine seule est ainsi divinisée. Pourquoi ? Parce qu’elle y met son âme, parce qu’elle s’élève de l’instinct à l’amour conscient, et que l’amour, en dépit des doutes, des blasphèmes, des sacrilèges, et surtout cet amour-là, si fidèle, si grand et si pur, est bien réellement ce qu’il y a de plus doux et de plus haut dans la vie.
La maternité est sublime, parce que sublime est son œuvre : le renouvellement de l’humanité par l’être neuf et naïf, pur de la fange des chemins déjà parcourus, libre de toute haine, de tout souvenir, de toute souillure, et que l’on peut, ainsi qu’une fluer dans un bon terrain, au soleil, soigneusement arrosé, pétrir de lumière, d’amour et de justice. La maternité, c’est la préparation de nos destinées ; c’est la forme incessante de la création, ou plutôt la création même continuée, et perpétuellement agrandie ; œuvre suprême, où la connaissance et l’enthousiasme du beau dans tous les ordres est nécessaire ; où le génie des grands sculpteurs appelle à son aide celui des grands philosophes, et la foi de ces moralistes, qui parmi les rires et les doutes de l’humanité, à travers les glaives monarchiques et les huées populaires, tracent nos chemins dans l’idéal.
Que doit être donc l’ouvrière de cette grande œuvre , celle qui, plus particulièrement du moins, la fonde et la détermine ?
Le même chœur de littérateurs et de poètes, et la foule qui les suit, répondent : Une ignorante !
C’est le fond de la doctrine, avec des variantes, du plus au moins. mais enfin le système, non seulement décrété, mais pratiqué, depuis le commencement du monde, est bien celui-là - parce que le femme est mère, elle doit rester à part de la science et à part de la liberté ; la connaissance et la responsabilité lui sont inutiles, et bien plus, funestes ! - N’est-ce pas, dites, quelque peu bizarre ?
Pensons-y bien : ce serait à cause de l’importance de la sainteté de la fonction maternelle que la femme devrait être privée d’une large culture intellectuelle ? - de cette dignité qui résulte de la possession de soi ? de la responsabilité de ses actes , qui seule constitue la moralité ?
C’est à cause de la maternité que lui seraient interdites les fortes études ? ainsi que les grands bénéfices du travail sérieux ?
La femme serait d’autant plus mère, c’est-à-dire d’autant plus propre à élever ses enfants, à développer leur âme, leur santé, qu’elle prendrait moins de part et d’intérêt à la vie sociale ! qu’elle serait plus ignorante, plus atténuée comme personne morale et intellectuelle !
La grande fonction du renouvellement de l’humanité, serait le mieux remplie par un être privé de son développement normal, et atrophié dans une part de sa vie, la plus importante ?
Ces choses-là se discutent-elles ? - Non ; il suffit de répéter le mot célèbre : qui trompe t-on ici ?
- Et pourtant il y a vraiment des naïfs qui sérieusement s’écrient : Que deviendront les enfants, si la femme abandonne le foyer pour les préoccupations de la vie publique ? (...)
Pourquoi cette exagération d’égards, de tendresse, qui va jusqu’à refuser à la femme le travail, cette noble et nécessaire gymnastique ?
Parce que le travail signifie indépendance.
Pourquoi cette peur insensée, illogique, de la connaissance, de la réflexion, du libre développement de l’être ?
Parce que de la connaissance dérive la volonté, comme de l’ignorance l’incertitude. Qui pense et qui sait veut ; tous les despotes sentent cela.
Et l’analogie est si complète, qu’il n’est pas un argument fourni par les adversaires de la femme, qui ne soit tiré de l’arsenal des pouvoir divin et temporel.
- Si la femme, trop adonnée aux choses de l’esprit, néglige ses devoirs maternels ? si la liberté chez elle devient licence ?
Mais la liberté c’est la force ! et la force est la santé ! C’est la faiblesse qui se livre et s’abat. Tristes incroyants, qui estiment que l’intelligence et la liberté conduisent au mal ! Et puis quoi ? de ce que l’excès est possible, s’en suit-il que l’usage de tout bien doive être interdit ?(...)
Tout ce creux système, si favorable à la tirade et à l’amplification, s’écroule dès qu’on y touche et ne se compose que de phrases. On exalte à l’envi le rôle de la mère et le génie maternel : la littérature a exploité cette veine avec enthousiasme ; le théâtre possède sur ce sujet les cliché les mieux sentis, que répètent volontiers dans les conversations, ou même en certaines occasions de la vie privée, les gens impressionnables. Mais en réalité, dans la vie intime et de tous les jours, la mère n’en est pas plus respectée. Elle ne l’est pas, parce qu’elle ne saurait l"être, parce qu’en dépit de la rhétorique la logique a ses droits, et que lorsque les faits contredisent les mots, les mots ont tort."
André Léo, alias Léodile Béra (1824-1900)
"Plus la lumière s’étend dans le monde, plus s’affirme le droit humain, plus de classes et de races entrent dans l’égalité, plus leurs craintes s’éveillent au sujet du dernier fort de l’esclavage : leur foyer" (Aline, Ali, 1867)
*:C’est moi qui souligne
Wikipédia André léo
J’achète > le monde les livres qui ont changé...
Cet article a été mis en ligne la première fois le 31 mai 2010.