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LA FEMME A DES SEXES UN PEU PARTOUT

lundi 10 février 2014, par Sophie

Extrait de CE SEXE QUI N’EN EST PAS UN de LUCE IRIGARAY, aux éditions de minuit, collection "critique". En 1977, il coutait 59,50 francs.


"Ce sexe qui ne donne pas à voir n’a pas non plus de forme propre. Et si la femme jouit justement de cette incomplétude de forme de son sexe qui fait qu’il se re-touche indéfiniment lui-même, cette jouissance est déniée par une civilisation qui privilégie le phallocentrisme. La valeur accordée à la seule forme définissable barre celle en jeu dans l’auto-érotisme féminin. Les un de la forme, de l’individu, du sexe, du nom propre, du sens propre...supplante, en écartant et divisant, ce toucher d’au moins deux (lèvres) qui maintient la femme en contact avec elle-même, mais sans discrimination possible de ce qui se touche.
D’où ce mystère qu’elle représente dans une culture qui prétend tout énumérer, tout chiffrer par unités, tout inventorier par individualités. Elle n’est ni une ni deux.On ne peut en toute rigueur, la déterminer comme une personne, pas davantage comme deux. Elle résiste à toute définition adéquate. Elle n’a d’ailleurs pas de nom "propre". Et son sexe, qui n’est pas un sexe, est compté comme pas de sexe. Négatif, envers, revers, du seul sexe visible et morphologiquement désignable (même si cela pose quelques problèmes de passage de l’érection à la démutescence) : le pénis.
Mais "l’épaisseur" de cette "forme", son feuilletage comme volume, son devenir plus grande ou plus petite, et encore l’espacement des moments où elle se produit comme telle, le féminin en garde le secret. Sans le savoir. Et, si on lui demande d’entretenir, de ranimer le désir de l’homme, on néglige de souligner ce que cela suppose quant à la valeur de son désir à elle. Qu’elle ne connaît d’ailleurs pas, du moins explicitement. Mais dont la force et la continuité sont susceptibles de renourrir longtemps toutes les mascarades de "féminité" qu’on attend d’elle.(...)

Peut-être revenir sur ce refoulé qu’est l’imaginaire féminin ? Donc la femme n’a pas un sexe. Elle en a au moins deux, mais non identifiables en uns. Elle en a d’ailleurs bien davantage. Sa sexualité, toujours au moins double, est encore plurielle. Comme se veut maintenant la culture ? S’écrivent maintenant les textes ? Sans trop savoir de quelle censure ils s’enlèvent ? En effet, le plaisir de la femme n’a pas à choisir entre activité clitoridienne et passivité vaginale, par exemple. Le plaisir de la caresse vaginale n’a pas à se substituer à celui de la caresse clitoridienne. Ils concourent l’un et l’autre, de manière irremplaçable, à la jouissance de la femme. Parmi d’autres... La caresse des seins, le toucher vulvaire, l’entr’ouverture des lèvres, le va-et-vient d’une pression sur la paroi postérieure du vagin, l’effleurement du col de la matrice, etc. Pour n’évoquer que certains des plaisirs les plus spécifiquement féminins. Un peu méconnus dans la différence sexuelle telle qu’on l’imagine. Ou ne l’imagine pas : l’autre sexe n’étant que le complément indispensable au seul sexe.
Or, la femme a des sexes un peu partout. Elle jouit d’un peu partout. Sans parler même de l’hystérisation de tout son corps, la géographie de son plaisir est bien plus diversifiée, multiple dans ses différences, complexe, subtile, qu’on ne l’imagine... dans un imaginaire un peu trop centré sur le même."


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L'avis FFF:

6 ans après sa première publication sur ce site, cet article me semble toujours aussi intéressant, non ?