Gabrielle Wittkop, le nom claque, un coup de martinet sur un fessier rebondi. J’ouvre le livre. Mes pupilles s’élargissent de ravissement offensé, ma bouche s’assèche, ma gorge s’empourpre, je redoute la gifle cinglante de la prochaine phrase, la brûlure de ses mots impérieux de domina exigeante. Je ne peux m’arrêter, mes yeux courent sur le papier. Elle réfrène sa prose, savoure mon avidité frissonnante. J’implore la suite, je veux plus d’horreurs, plus de délicieuses pourritures. Ses écrits crépitent de fureur glacée, étincellent d’immoralité indécente, explosent en apothéoses vicieuses.
Lire Wittkop, c’est s’abandonner à l’incandescence des turpitudes sexuelles, se soumettre à la cruauté de visions dantesques, aux pires perversités, frémir à chaque incision de son style vif-argent, brillant, dur, métallique.
Héritière d’un XVIIIème siècle autant libertin et cynique que scientifique et rationnel, l’auteur mêle raffinement vénéneux et élégance classique pour dépeindre les pires déviances des désirs humains.
Dans le Nécrophile, le collectionneur macabre, tout droit sorti de la Psychologia Sexualis de Krafft Ebing, déterre ses conquêtes avec délicatesse, les entoure de soins assidus, jouit de leurs corps au sexe froid, « à la chair bleue, au parfum de bombyx » avant de pleurer sur leur inexorable décomposition.
Dans la Marchande d’enfants, roman épistolaire, la proxénète bourgeoise dévoile avec un pragmatisme minutieux l’organisation de son bordel spécialisé en jeunes enfants. La somptuosité de l’écriture sadienne de Gabrielle Wittkop se révèle d’autant plus scandaleuse qu’elle se complait dans l’ignominie avec une grâce naturelle fascinante.
Le Sommeil de la Raison est un recueil de nouvelles qui mettent en scène les malades mentaux d’une institution catholique lors d’une bacchanale dégénérant en orgie lubrique, une jeune fille voyeuse qui couche avec les amantes de son père, un clochard alcoolique, un opiomane…
Sérénissime Assassinat, roman noir gothique, nous plonge dans les profondeurs terrifiantes de la Venise baroque décadente, au milieu d’une affaire d’empoisonnements mystérieux, mascarade labyrinthique, où « des femmes gorgées de venin crèvent comme des outres ».
Née en 1920, Gabrielle Wittkop a jalonné sa vie d’actes de résistance farouche face aux pressions d’une normalité sociale mortifère. Lesbienne assumée, mariée à un soldat allemand déserteur, homosexuel, elle a subi l’opprobre de la « tonte » à la fin de la guerre. Installée en Allemagne, elle est devenue journaliste et écrivain. Elle publie le Nécrophile en France en 1972 chez Régine Deforges. Son oeuvre subjugue par sa sophistication formelle, son érudition historique. Sa liberté de ton, son choix de thèmes irrévérencieux choquent les puritains, les apeurés. Au-delà de toute morale, à la conquête d’une écriture flamboyante, dérangeante, Wittkop transgresse avec brio la bienséance établie des lettres françaises.
En 2002, âgée de quatre-vingt -deux ans, elle se suicide, laissant ces derniers mots : « J’ai voulu mourir comme j’ai vécu : en homme libre ».
Bibliographie :
Son œuvre est presque intégralement publiée aux éditions Verticales depuis 2001.
Le Nécrophile, 1972, 2001, Verticales, Paris.
La Mort de C., 1975, 2001, Verticales, Paris.
Madame Tussaud, 1976.
Sérénissime Assassinat, 2001, Verticales, Paris.
Les Rajahs Blancs, 1986, 2009, Verticales, Paris.
Le Sommeil de la Raison, 2003, Verticales, Paris.
La Marchande d’enfants, 2003, Verticales, Paris.
Chaque jour est un arbre qui tombe, 2006,Verticales, Paris, 2010, Folio.
Carnets d’Asie, 2010, Verticales, Paris.