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APOCALYPSE BEBE

dimanche 7 novembre 2010, par Sophie

(VD est en lice pour le Goncourt. J’en profite pour vous rafraîchir la mémoire !) Court extrait du nouveau livre de Virginie Despentes. Paru chez Grasset. 19€. (Oui, les livres sont trop chers)


P.157 :

"Adossée contre un mur, une fille en treillis et marcel blanc, en retrait elle aussi, m’observe en souriant :

- Tu ne parles pas espagnol ?

- Non.

- Et tu ne connais personne ici ?

- Non.

- Viens, je vais te montrer ta chambre.

L’appartement est organisé autour d’un long couloir. Elle ouvre la porte d’une pièce minuscule, carrée, sans fenêtre. Il n’y a la place que pour un lit et une armoire. Je m’endors aussitôt.

Quand je me réveille, je n’ai pas l’heure, mais j’ai tellement faim qu’il doit être assez tard. En sortant de ma chambre, je découvre que la nuit est tombée. L’appartement est envahi, la faune est devenue mixte. Ambiance de fête, tout ce que je déteste. Les gens ont bu, ils parlent fort. Ça ne me dérange pas de ne pas comprendre ce qu’ils éructent. Dans le salon, un groupe danse dans la pénombre. Je reconnais la Hyène parmi eux. Je n’aurais pas imaginé qu’elle puisse aimer danser. Elle bouge son corps lentement, les yeux fermés. Gracieuse. Elle ne se ressemble pas. Elle paraît jeune, à ce moment-là. Je n’ose pas la déranger. Je tente ma chance à la cuisine où la fille en treillis et marcel se fait griller des morceaux de pain, qu’elle arrose copieusement d’huile d’olive, de citron et de gros sel.

- Tu en veux ?

Je prends l’assiette qu’elle me tend et m’adosse à l’évier.

- Et alors, vous êtes venues faire quoi, à Barcelone ?

- On est là pour du travail. Tu parles bien français.

- J’ai vécu cinq ans à Paris. Tu es de là-bas ?

- Oui.

- Ils se la pètent beaucoup. On ne comprend pas très bien pourquoi.

Qu’est-ce qui s’est passé d’intéressant depuis vingt ans ? Mais j’aime bien les Parisiennes. Elles sont décoratives. Tu veux du coca ou de la bière ?

Elle ouvre le frigo, se comporte comme si elle était chez elle. Un épais bracelet en cuir noir autour de son poignet souligne la délicatesse de ses articulations. Son sourire découvre des dents écartées sur le devant. Ses lèvres sont encadrées de deux rides symétriques. Sa peau parait fine. Se dégage d’elle une impression de fragilité, mêlée à une grande endurance.

- Et vous allez squatter ici, toi et ta copine la Hyène ?

- C’est pas ma copine. On travaille ensemble.

Elle sourit en basculant la tête en arrière pour vider sa bière.

- Ne t’inquiète pas : ça se voit tout de suite que t’es pas du sérail.

- Ah bon ? Ça se voit à quoi ?

Je m’abstiens de lui faire remarquer que ça ne me traverserait pas l’esprit de déclarer, de but en blanc, à une fille qui aime les filles que "ça se voit". Elle pourrait mal le prendre, et je la comprendrais. Dans la pièce à côté, quelqu’un monte le son, le brouhaha autour de nous s’intensifie. Elle dit qu’elle s’appelle Zoska et s’éclipse. Je reste dans le bruit seule, assise à côté du frigo, à tirer sur le joint qu’elle m’a laissé, en espérant qu’il m’aide à me rendormir. Je me lève pour trouver la Hyène et la prévenir que je vais me coucher, quoique je n’ai pas l’impression qu’elle s’en fasse beaucoup pour moi.

Arrivée dans le salon, je crois d’abord halluciner. Un amas de corps nus, éparpillés par groupes, se chevauchent à travers la pièce. Au sol, sur le sofa, sous une table. La vision d’ensemble est si inhabituelle que j’ai du mal à en décoder les éléments."

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Rue 89 : "Dans le faussement léger « Apocalypse bébé », Virgine Despentes creuse encore -mais mieux- la question de l’identité et de la revendication sexuelle." (voir sur le même lien l’interview de Despentes en vidéo)

Evene.fr : "...Au moyen d’une plume parfois brutale, toujours vivace, exemptée surtout d’inutiles périphrases, Despentes nous plante un récit qu’on qualifierait un peu vite de road-movie, si sa structure narrative comme certaines des scènes présentées n’étaient pas susceptibles de dérouter comme d’emporter l’adhésion..."

Buzz-littéraire.com : "...Plus grave, son caricatural et exécrable néo-féminisme stupide et harnaché punk contre les hommes coupables de tous les maux, façon Peggy Sastre"..."ce no limit sexuel, assez étrange, cru, empreint de forte animalité, est déplaisant à la lecture. Le discours selon le salut de la femme et sa jouissance passent par les homosexuelles est indigeste comme cette partouze grotesque de femmes affairées entre elles. Tout le monde n’est pas comme Despentes : une Hyène de garde !"

Le point.fr : "Despentes n’échappe pas aux canons, parfois aux clichés, du roman déjanté-branché. Déprimante, violente ou mécanique, entre les hommes et les femmes, la sexualité redevient vaguement humaine entre femmes. L’hétéro coincée qui semblait transparente au monde revient épanouie de son voyage dans l’amour lesbien. On est content pour elle."

L’express.fr : "Bref, n’en déplaise aux pudibonds et aux mauvais coucheurs, à 41 ans, Virginie Despentes la scandaleuse s’impose comme la chef de file d’une génération gaiement libertaire et décomplexée."

Le beau vice : "Parce qu’il fait faire trois fois le tour de l’élastique du slip, pour mettre les pendules à son heure, qui devient la nôtre, le livre de Despentes est féministe : avec elle, on ne naît pas queer mais on le devient."

Et vous, vous en pensez quoi ?


Cet article était paru le 2 octobre 2010

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15 messages
  • "Jeudi 7/ Virginie Despentes (photo) est l’invitée de La grande librairie, à 20h35 sur France 5. En cette rentrée littéraire, l’auteure et sa plume acérée créent l’événement avec la sortie de Apocalypse bébé, roman publié chez Grasset. Quatre ans après son essai autobiographique King Kong théorie, Despentes signe un road movie initiatique qui creuse encore une fois la question de l’identité et de la revendication sexuelle, à travers l’enquête de « La Hyène », une homosexuelle à poigne dont la mission est de retrouver une gosse de riches disparue" (Tetu.com)

  • Vends livres, très peu servis : "apocalypse bébé" V.Despentes, "A la folle jeunesse" A.Scott.

    Sans rires ce sont deux bouses, je suis très déçue, surtout par Despentes parce que finalement je n’attendais pas beaucoup mieux de celui d’Ann Scott (qui est franchement imbitable, ennuyeux, vaniteux...). Non ce qui m’a gêné dans celui de Despentes c’est qu’on la perçoit dans tous ses personnages, du coup on a du mal à se laisser embarquer par l’histoire... Je trouve l’intrigue et les personnages plus poussifs que dans ses précédents romans... Bref je devrais attendre les sorties poches avant d’acheter ces bouquins... voire les vide greniers.

  • Avec La Hyène, je m’attendais au moins à satisfaire certains de mes fantasmes archaïques de méchanceté carnassière. La gouine sexy, vicieuse et indomptable, mon rêve de princesse charmante.

    Dès la présentation, j’ai eu un doute, « blouson étriqué en cuir blanc, Ray-Ban fumées de mec, …, petit jean blanc », la ringardise absolue en matière de fringues. La suite a confirmé mes appréhensions.

    La Hyène est méchante et vulgaire. Les dialogues interminables entre les deux acolytes se répètent en une succession de vannes lourdingues qu’elle balance à sa collègue mutique. La Hyène est fourbe et pleutre, elle s’attaque à plus vulnérable qu’elle. Elle isole de sa bande un pauvre garçon tout juste pubère qu’elle tabasse en le menaçant de « lui ouvrir l’anus avec (s)on poing » pour le fister « jusqu’au coude ». Classieux. La Hyène s’assoit les jambes écartées, boit son café, fume comme un homme et ne sourit jamais. Au volant de son 4x4 gris métallisé, elle écoute Michel Berger ou France Gall. La Hyène ne me fait pas rêver.

    Plongée dans un univers lesbien pestilentiel, la détective hétéro au physique banal, succombe au charme d’une de ces harpies défoncées et tatouées, Soska la motarde (sic !), croqueuse de femmes mariées et dealeuse d’héro, qui la soigne, qui la console, qui la coiffe, qui la rhabille comme « une française embourgeoisée des années 70, …, son idée de la féminité la plus affolante. »

    Merci de nous rappeler au passage que devenir lesbienne consiste à se métamorphoser en grosse passive fusionnelle qui joue à maman-bébé avec son amante.

    Je conclus en me demandant quel type de gouines (s’il y en a !) fréquenteVirginie Despentes dans sa vie pour être aussi mal inspirée.

    • Oulala, des attaques personnels. Portant moi même des RayBan de mec fumé et ma girlfriend un jean blanc, je me sent du coup visé par ce commentaire :)

      Comme disait l’autre, la ringardise est peut être dans les yeux de celle qui regarde ?

    • Virginie Despentes aurais du contacter C. Line pour lui demander ces gout en matière de lesbiennes avant d’écrire ce livre.

      Elle aurai pu faire de la hyenne un personnage habillé en tailleurs chanel, classe et qui s’exprime dans une langue chatiée. Ou bien lookée bibliothécaire , ou encore féminine mais intello, ou encore style teuffeuse pourquoi pas. je ne connais pas les gout de C.line.

      Elle aurai du aussi faire de ce personnage qq de super gentil, belle et bonne et douce comme toutes les lesbiennes de la terre le sont, ou devraient l’être, selon C.line.

      Car les lesbiennes ne sont pas des êtres humains comme les autres.

      Elles doivent être angeliques et parfaites, car on sais bien qu’un personnage de roman est censé représenter toutes les lesbiennes du monde, dans un consensus qui ferai que toutes les lesbiennes se sentiraient valorisée en lisant le livre.

      Mais celà pose un pbm bien sur , car C.line n’est pas la seule lesbienne du monde.

      et les autres lesbiennes ne lui ressemblent pas, et n’ont pas les mêmes fringues ni la même manière de fumer.Ni la même conscience , ni la même manière de baiser , ni les mêmes gout en littérature.

      Angoissant.

      Que faire ?

      Je propose de faire un referendum parmi toutes les lesbiennes du monde , qui specifierai comment les lesbiennes soivent être décrites dans les oeuvres.

      Ensuite celà rentrera dans la loi, et chaque ecrivain ou cineaste ou chanteuse ou autre artiste devra respecter cette loi.

      La loi C.line.

      Ensuite les oeuvres et les artistes seront soumises a censure et insultes si elles ne respectent pas la loi.

      D’ailleurs les filles de Foleffet sont un peu trop "mec" selon les gouts de C.line.

      Yuri et Cha, jettez vos lunettes ray ban immediatement !!

      • merci d’avoir fait remarqué que les lesbiennes sont diverse et varié et qu’un personnage un peut vif dans un bouquin n’est pas fait pour plaire a touts le monde.Elles n’ont qu’a écrire un bouquin qui leur conviennes. mais je ne pense pas quelle puisse le faire c un vrai métier qui n’est pas a la porté de tout le monde .désolée pour les fautes .

      • Contrairement à vos sous-entendus, je n’ai pas la prétention d’imposer un quelconque diktat stylistique à toutes les écrivains qui décrivent des personnages lesbiens. Ce commentaire n’est qu’un avis personnel, réaction critique à un livre qui m’a déçue à la hauteur de ce que j’en attendais, c’est à dire énormément.

        Baise moi et chiennes savantes ont été de vraies révélations littéraires pour moi. Les suivants, je ne les évoque même pas. King kong théorie m’avait redonné espoir... et puis là, cette apocalypse, bien réelle : destruction totale de la littérature.

        Enquête sans ingéniosité, sans rebondissement, road movie faiblard. On cherche la fille au début, on trouve la fille à la fin. Les raisons de sa fuite, le dénouement tragique composent un vaste fourre-tout agrémenté d’enjolivements politico-religieux invraisemblables et teinté de psychologie simplette.

        Galerie de portraits fourmillant de mille lieux communs agaçants : l’écrivain raté et aigri, la femme mariée insatisfaite sexuellement, le jeune arabe de banlieue plein de haine, l’adolescente nymphomane, droguée, abandonnée par sa mère et délaissée par son père égoïste.

        Ils sont tous très en colère et pourtant, on s’en fout, on n’y croit pas, on ne compatit pas. Despentes décalque sa rage en variations grotesques. L’écriture a perdu son immédiateté, son évidence littéraire. Les rythmes discordants, le style excité, pâle copie des extases pulsionnelles lyriques de Baise moi, corrompent ces histoires de vies ennuyeuses aux accents artificiels, et par ailleurs totalement inutiles au déroulement de l’intrigue.

        La scène érotique ? un vaste fourre-tout d’une page et demi. Despentes ne nous épargne rien de sa liste de fantaisies sexuelles dignes d’un parc d’attractions de province : fist vaginal pilonné, geysers de cyprine, punitions SM, scarifications…

        Ne me reprochez pas d’être pudibonde, je ne suis pas gênée par le contenu mais par la façon de le traiter.

        • Hey vous savez quoi ? je viens de réfléchir sous ma douche. Vous avez peut être raison, il n’est pas si mauvais que ça, ce livre, et la Hyène, même si elle n’est pas à mon goût, a le mérite d’être une lesbienne...

          Je suis un peu amère, non pas parce que je rêve d’être écrivain comme elle (je choisirais plutôt Beckett ou Joyce comme modèle), mais parce qu’elle préfère aller lire, collée à Nothomb, du Nothomb, sur Canal Plus que venir signer dans une librairie marginale du Marais pour rencontrer ses gouines de lectrices en Ray ban fumées et jean blanc. Mon image de Despentes n’est pas celle de cette "cinéaste fashion" , saucisse de hot dog entre les deux tronches de Béart et Dalle dans les pages de Gala. Mon image de Despentes n’est pas celle de la compromission marketing. Et je vous parie que Bye Bye Blondie à côté de Baise moi le film sera juste un navet. Mais tant mieux pour elle quand même.

          • J’ai énormément aimé ce Despentes. En fait, je crois bien que c’est mon préféré depuis "Baise-moi", exception faite de King-Kong Théorie qui n’est pas un roman.

            Oui on trouve Despentes dans chacun des personnages. Elle réussit à les rendre tous attachants malgré leurs côtés antipathiques. C’est ce que je trouve le plus difficile à admettre (et pas que chez elle) : le côté anti-héros des héros de roman. Oui la Hyène est ringarde par certains côtés. Oui Valentine va droit dans le mur. Oui la détective privée est un peu niaise et naïve. Oui le père est un vieux beau pathétique...etc Oui la fin est un peu décevante puisqu’elle n’explique pas grand-chose (et on a vraiment l’impression que le dernier paragraphe, qui parle de la mort d’un être proche fait référence à un évènement réel de l’écrivaine et n’a pas grand-chose à voir avec l’intrigue du livre). Mais ce sont aussi ces détails qui rendent le bouquin si poignant. En fait, j’aimerais bien qu’il y ait une suite des aventures de la Hyène. Tout est prêt pour. Allez Virginie ! Steuplait !!!

            • Quote : "Elle réussit à les rendre tous attachants malgré leurs côtés antipathiques." < Justement, non, enfin pour moi, non... Pourtant j’ai toujours aimé les méchants (je préférais Marc Landers à Olivier), les anti-héros, mais là, ça fait plaf... Surtout que je trouve que Despentes insiste lourdement sur leur côté loser, on est un peu forcé dans notre appréciation. En gros ça manque de subtilité... J’aime bien, quand je termine un roman, avoir la sensation que ses personnages continuent leur histoire malgré le livre refermé. Là quand j’ai terminé ce bouquin je n’ai pas continué à être habitée par son univers. Les personnages ne demeurent à mes yeux qu’encre et papier, rien de plus. Je ne reproche pas aux personnages d’apocalypse bébé leur nature, mais plutôt leur manque de profondeur psychologique. Je me répète mais comme ce débat tourne pas mal à l’appréciation des personnalités du livre, je tenais à le (re) préciser. Et je comprends que tu aimes ressentir l’esprit Despentes à travers ta lecture, moi aussi j’achète un auteur car j’y suis attachée, mais il faut quand même qu’il m’emporte, en haut, en bas, en enfer ou à prololand, là n’est pas la question non plus, juste monter à bord du récit et ne pas voir passer les pages... sinon à quoi bon.

              • le débat a le mérite de titiller ma curiosité.

                par moment, ce qu’on cherche dans un bookin, ou ailleurs, c’est un peu de soi, et quand on ne le trouve pas on est déçu. alors je me dis : est-il possible de s’intéresser à autre chose qu’à soi, lorsqu’on s’intéresse aux autres.. à des livres qui ne nous parlent pas, aujourd’hui.. mais demain ?

                il y a eu des lectures que je ne pouvais faire il y a quelques années, et bizarrement mes lectures préférées me saoulent depuis quelques temps..

                il y a des choses, des gens, des lectures qui a priori ne m’intéressent pas. et puis quelques fois, par ennui souvent, je me penche sur ce qui ne m’apporte rien, du moins intuitivement. en découvrant un monde qui m’est étranger, si je n’apprends rien de nouveau, cela m’échappe au moins un peu.

                il y a des oeuvres qui rebutent. pourquoi ? parce que notre égo ne s’y retrouve pas ? parce que justement ce qu’il y trouve ne lui plait pas ? parce qu’elle nous renvoie à ces choses que chaque jour nous nous efforçons de cacher, d’oublier, de dépasser ?

                à la lecture de ce débat, je n’ai pas envie de lire ce bookin parce que c’est du despentes, ou parce que j’ai envie de me faire ma propre idée, car a priori, tous les arguments ne me donnent pas envie (les pires), où me disent ce que je vais aimer y trouver (les meilleurs).

                j’ai envie de lire ce bookin, parce que j’ai envie d’y trouver ce que vous ne dites pas, et tout ce que despentes dit, au fond, sans l’avoir écrit. parce qu’au delà d’un contrat d’édition, de frais extra ou ordinaires qui expliqueraient qu’on puisse faire de la merde même quand on a du talent, il se peut quand même qu’on passe à côté d’un je n’sais quoi encore, qui me titille depuis le début du débat.

                alors à bientôt !

                ou pas.