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Le 14 septembre, la loi "interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public" a été définitivement adoptée et jugée conforme à la constitution par le conseil constitutionnel. Dorénavant "nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". L’espace public étant "constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public". L’amende maximale en cas de violation de cette interdiction est fixée à 150€. Quelle attitude adopter face à cette prise de position de l’Etat ?
Provocation :
Elles ont la vingtaine, une des deux est musulmane, elles ne se sentaient pas particulièrement concernées par la loi sur la burqa, mais elle se sont demandées : "comment réagiraient les autorités face à des femmes portant une burqa ET un minishort ?"... "On ne cherchait pas à attaquer ou à dégrader l’image des intégristes musulmans -chacun son trip- mais plutôt à interpeller les élus de la République qui sont allés au bout du vote de cette loi que l’on estime être largement anticonstitutionnelle… Et puis finalement, le LOL c’est bien pour dénoncer non ?" Toutes deux étudiantes en art, elles mettent leur plan à exécution et se filment devant plusieurs lieux symboliques de la politique actuelle : le siège du PS, de l’UMP et l’Elysée... Niqabitch est né. A les voir déambuler ainsi dans les rues de Paris, suscitant l’intérêt des passants (et des policiers !), on peut effectivement se demander pourquoi l’État se focalise sur une part infime de la population française. "Qu’on nous explique de quel droit cette femme en niqab croisée hier dans le métro n’aura plus le droit de circuler dans l’espace public au printemps 2011 ? Cette loi est absurde (et semble difficilement applicable) !"
Elles sont motivées principalement par "l’hypocrisie des hommes politiques français qui agitent le sacro-saint drapeau féministe sous prétexte de défendre ces pauvres femmes voilées de force par leurs sauvages de maris". Car, pointent-elles, "a-t-on réellement besoin d’une loi spéciale burqa pour nous rappeler qu’il est interdit de forcer un individu à faire quoi que ce soit contre son gré ? Nous dicter notre façon de nous habiller serait donc devenu le rôle de l’État (comme s’ils n’avaient pas d’autres chats à fouetter…)."
Quelques jours après ce happening, alors que les grèves contre la réforme de la retraite occupent le devant de la scène médiatique, on ne sait pas quelle suite aura cette action.
Réflexion :
On peut la rapprocher de l’excellent texte de Raphaël Liogier paru dans la revue Multitudes N°42 : "Le voile intégral comme trend hypermoderne". Voici son introduction :
"Depuis les années 2000 apparaissent en Europe des jeunes femmes portant un voile intégral, en général un niqab qui recouvre tout le visage sauf les yeux, dans la tradition des pays arabes du golfe persique. On pourrait croire que la résurgence de ce voile relève d’une imposition masculine, et (ou) d’une poussée de radicalisme islamique. Or ce qui en prend l’apparence et est perçu comme telles par les autres, n’est ni l’une ni l’autre pour ses protagonistes. Ce voile - spécifiquement celui que se développe maintenant dans les sociétés industrielles avancées et non le voile musulman en général - est non seulement majoritairement volontaire mais hypervolontaire, si l’on peut dire : il traduit un désir d’ascétisme, de changement existentiel total, le désir d’une reconversion radicale, d’exhiber son identité, de la rendre visible. C’est aussi parce qu’un tel vêtement est pénible à porter qu’il est désiré, car il exprime ainsi non pas la soumission à un ordre social, à une culture archaïque, mais un choix profond, contraignant et ... ostensible. C’est un voile de distinction, entendons une façon de se distinguer aux yeux de Dieu et...des autres, il n’est donc pas prosélyte. Si tout le monde le portait, il en deviendrait moins désirable."
Reprenant l’enquête menée auprès de femmes ayant fait le choix de porter le niqab, réalisée par Agnès de Féo [1], l’article décrit précisément les raisons, les motivations qu’avancent ces femmes, comment ce choix s’inscrit dans l’histoire de l’Islam. "Pour finir, et puisque les voix anti-niqab les plus virulentes s’élèvent au nom de la lutte contre la domination masculine, je crois qu’il n’y a pas pire manifestation de domination masculine que d’estimer que ces femmes ne sont pas capables de dire ce qu’elles pensent, comme si nous avions affaire à des incapables au sens juridique du terme, des personnes mentalement attardées. N’accorder aucun crédit à leur parole alors même qu’elles argumentent, expliquent, illustrent en général leur choix, et répéter inlassablement (et mécaniquement) qu’elles sont manipulées, relève d’une forme discrète, mais très efficace de mépris."
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C’est un sujet délicat qui nous oblige à prendre position. En tant que laïque convaincue, on a tendance à vouloir bannir toute ingérence de la religion dans la vie quotidienne. En tant que féministe, on aurait tendance à vouloir libérer la "femme" de quelque entrave que ce soit à sa liberté d’être ce qu’elle veut, comme elle veut. Et si vous avez regardé ces interviews de femmes aux visages voilés, vous avez entendu qu’elles se réclament du féminisme. On n’a plus qu’à continuer le débat !
Twitter Niqabitch
L’intégralité du manifeste des Niqabitch : rue 89
Vivre sa foi sous le niqab en anglais