La culture : quelle barbe !
Samedi 14 juin 2008 au Théâtre des Amandiers, les femmes à barbe crèvent le plancher : surgissant à trois reprises derrière les orateurs de ce forum censé « révolutionner la Culture », les féministes du groupe La Barbe ont témoigné leur admiration aux grands hommes de la Scène Culturelle Française, réunis ce jour-là au théâtre des Amandiers.
Le matin elles bondissaient barbues derrière Jacques Ralite et Jérôme Deschamps, au beau milieu d’un débat animé par Jean-Louis Martinelli, le directeur du théatre, intitulé « Savez-vous évaluer le spectacle vivant », pour dénoncer les chiffres clefs du sexisme de ce secteur. Les extraits du rapport dit "Reine Prat"- mandaté par le Ministère de la Culture dans le cadre de la Mission Egalités – sont accablants : LA BARBE félicite les organisateurs de ce "Forum de la culture", soucieux de faire "émerger des pistes d’avenir" - qui ont veillé à ne convier que 12 femmes sur les 88 intervenants. Nous sommes tout aussi rassurés de savoir que les hommes dirigent 92% de théâtres, 89% des institutions musicales, 86% des établissements d’enseignement, 78% des établissements à vocation pluri-disciplinaires et 71% des centres de ressources. Et s’il peut sembler pénible d’apprendre que des femmes dirigent près de la moitié des centres chorégraphiques (41%), il est bon de rappeler qu’un homme qui danse fait un peu « mauvais genre ».
A la pause elles distribuèrent des barbes postiches aux femmes de l’assistance, contribuant ainsi à l’animation d’un évènement pour le moins « barbant » malgré ses ambitions affichées. Mais le spectacle – a priori bien inoffensif, n’eut pas l’air de séduire les organisateurs, qui résolurent d’interdire dorénavant à ces dangereuses activistes l’entrée de l’ensemble des salles. Le service d’ordre, bien fournis et omniprésent durant tout le forum, fut averti.
Oubliée, la pompeuse « charte » du Forum publiée en pleine page dans le cahier de Libé, qui mettait en avant « le pluralisme, la reconnaissance d’intérêts divergents, d’opinions contraires, exprimés dans le respect de l’autre et la diversité des engagements et actions des personnes et associations qui décident d’y participer, comme la diversité des sexes, des races, des spiritualités et des cultures ». Le forum s’annonçait pourtant – d’après ses promoteurs - comme le lieu par excellence où les contestations spectaculaires étaient attendues, voire invitées, pourvu « qu’elles ne mettent pas en danger la sécurité des personnes ». Il faut croire que le ridicule tue. Face aux grands Hommes de ce monde, la dérision est une lame acérée.
Le paradoxe fut promptement relevé par les intrigantes et la direction du théâtre se résolut à contre-cœur d’offrir à nos barbues l’entrée de la grande salle, où péroraient de concert Philippe Sollers et Henri Guaino. Leur dialogue à dormir debout sur la « transcendance républicaine » fit donc place à l’oraison d’une femme à barbe dans le micro de l’écrivain…tandis que ces comparses étaient malgré tout mises à terre par la sécurité – toute entière dévouée à la défense du conseiller de Mr Sarkozy. « Chantons la femme, muse des poètes ! » dit la barbue. « Mais gardons-nous de projeter sa vision du monde – Ô combien futile – sur les murs des musées. Pour le bien de la femme, protégeons-là contre les démons du spectacle et évitons-lui les affres de la création. »
Ce groupe d’action féministe nommée « la Barbe » intervient depuis quelques mois dans divers lieux de pouvoir économique (conseils d’Administration de la grande distribution), politique (Sénat, Assemblée Générale des maires d’Ile de France), et culturel… A qui le tour ?
(Ce billet reprend, au poil près, le communiqué de presse rédigé par La Barbe)
Pour les contacter : labarbelabarbe@gmail.com
Site internet : www.labarbelabarbe.org
16 jun 2008. Par Mathieu Potte-Bonneville