mardi 1er février 2011
la politique, le coming-out, l’homophobie et le mariage homo…
J’ai eu une enfance heureuse.
J’ai de la chance… mon anniversaire tombe toujours le week-end des élections présidentielles. Du deuxième tour pour être précise… A 4 ans, sur les épaules de mon papa, je chantais “Mitterrand, Président, Giscard, au placard ! ”. Mon enfance a été mitterrandienne, et moi, les années Mitterrand, je ne les regrette pas. Premier septennat pour l’enfance, second septennat pour l’adolescence. En 88, j’ai onze ans et je me souviens très bien du soulagement et de l’euphorie à l’annonce des résultats. C’est peut-être pour ça que j’ai tellement de mal avec l’âge adulte.
7 mai 95, j’ai 18 ans. Aujourd’hui. Je marche dans la rue, il doit être 19h quelque chose. Je vais boire des coups à Paris avec mes potes pour fêter ma majorité. J’ai mon walkman radiocassette dans la poche intérieure de ma veste et j’écoute France Inter. Dans quelques minutes, ils vont annoncer les résultats du second tour de l’élection présidentielle. Je n’ai pas eu le droit de voter, il faut être majeur avant le premier tour, mais j’ai de l’espoir, je veux y croire. Il est 20h, les premières estimations tombent. Chirac est élu. Bienvenue dans l’âge adulte. Et comme j’ai vraiment de la chance, il sera réélu pour mes 25 ans et pour mes 30 j’aurai la joie de voir arriver Sarko au pouvoir.
Aujourd’hui, quinze ans après, je commence à trouver le temps long et le bilan désastreux. En tant qu’adulte, en tant que femme, en tant que chômeuse intermittente du spectacle, en tant que gouine… tout est peu à peu défait, déconstruit, détruit même.
L’égalité homme/femme ? Une vaste blague, tant au niveau de la représentation publique que de la disparité salariale, pour ne citer que cela.
L’aide aux précaires de tout poil ? Une honte que ce soit la fusion Pôle emploi, la fin de la rétroactivité des APL ou le RSA. La priorité reste de pousser les gens hors des zones de comptabilisation pour faire baisser les statistiques… La méthode ? Rendre les démarches obscures, complexes, incompréhensibles… on ne sait jamais, les pauvres finiront bien par se décourager.
Les droits des homos ? Qu’on ne vienne pas me parler du PACS, je risquerais de devenir violente… cet ersatz de contrat d’union qui avec la réforme de la fiscalité vient de perdre son seul intérêt, n’est qu’un moyen de rappeler aux homos qu’ils ne sont pas des citoyens à part entière.
Je suis une femme, je suis chômeuse, je suis gouine… qu’est-ce que ça fait de moi ? un quart de citoyenne ? Pourtant je paye mes impôts, la totalité de mes impôts…
Aujourd’hui, depuis dix ans que nous sommes entrés dans le XXIe siècle, ce XXIe siècle qu’on nous a vendu plein d’espoirs et de libertés, j’ai encore l’impression de devoir m’expliquer, me justifier, m’excuser d’être qui je suis.
Si, étant en couple, je voulais un enfant, ma partenaire ne pourrait pas en être le parent légal. Elle ne pourrait pas prendre de congé de “paternité” (sic !) à la suite de la naissance. Elle n’aurait pas droit aux trois journées de congé pour enfant malade non plus. Nous ne pourrions pas nous marier. Si l’une de nous deux décèdait, non seulement l’autre n’aurait pas la garde des enfants dont elle n’est pas la mère biologique, mais en plus son héritage ne serait pas transmissible aux enfants non biologiques. Et encore, pour ne parler que des enfants.
Et rien n’est fait, rien n’avance. Car en fait de liberté, ces dix dernières années ont sans doute été parmi les plus répressives, de celles qui limitent l’action et les droits individuels. Des exemples ? La réforme des conditions de garde à vue, la comparution immédiate, la loi sur la récidive, les lois qui permettent le fichage en tout genre (HADOPI, EDVIGE, LOPPSI 2)… la liste est trop longue. Bientôt on ne pourra plus cracher par terre sans que cela soit signalé et consigné quelque part.
Tandis que des propositions de lois liberticides comme celles de cet homophobe notoire de Vanneste sont examinées à l’Assemblée nationale, assemblée dont le fonctionnement est payé par… mes impôts ? La plus savoureuse, si ce n’est sa dernière en date : une proposition de loi visant à remettre en cause la liberté d’expression en modifiant les conditions de constitution de partie civile pour les associations. En gros, dans un cas de propos racistes ou homophobes tenus publiquement par un homme politique (au hasard, Hortefeux ou Vanneste lui-même, qui ont tous deux été condamnés, soit dit en passant), seul un individu pourrait se porter partie civile et uniquement s’il apporte la preuve que les propos condamnables lui portent directement préjudice… Ou comment faire fermer sa gueule au MRAP, à la LICRA, à ACT-UP… Rappelons que Vanneste, contrairement aux apparences, fait toujours partie de l’UMP et n’est pas encore encarté au FN.
Evidemment, avec des “élus du peuple” de cette sorte ; pas étonnant qu’on assiste à toujours autant d’agressions homophobes. Si les mentalités évoluent, ce n’est pas forcément toujours dans le bon sens et cette fameuse “décomplexion idéologique" de la droite française donne probablement à penser à certains que c’est tout à fait normal de tabasser quelqu’un parce qu’il est homo. Surtout les femmes d’ailleurs. Les femmes finalement, n’apprennent, ne comprennent bien que si on leur cogne dessus, c’est connu. Alors les gouines… Elles vont quand même pas continuer à se balader librement en pensant qu’elles pourraient éventuellement être égales aux hommes. Les gouines, c’est pire que les féministes, ça pense que ça a pas besoin des hommes pour exister.
C’est sûr à ce niveau là, l’égalité on l’a, on se fait maintenant autant cogner que les pédés. On se fait violer aussi… Bah, fallait pas être gouine. C’est ce que m’a dit un type, un jour, après m’avoir craché dessus.
Mine de rien, ça fait réfléchir. Après on se demande à quoi peut bien servir de faire son coming-out ? C’est vrai, si c’est pour se faire discriminer, maltraiter, insulter à longueur de journées… Non la vraie solution, m’avait un jour expliqué une ex, c’est “de se fondre dans la masse, d’être invisible, calme, rangée, de donner une bonne image des homos. Pas comme ces camionneuses qui font peur à tout le monde”. Mais bien sûr…
C’est vrai, le droit à l’indifférence c’est tentant. Ce serait merveilleux que chacun soit libre d’être qui il veut, comme il veut sans que la moitié de la population se retourne sur son passage ou le montre du doigt. Ce serait merveilleux… mais on n’en est pas là, on en est même loin. Je dis que tant qu’on n’aura pas déjà le droit à la différence, il vaut mieux s’asseoir sur l’indifférence car elle masque trop de dérapages et de brutalités. Il faut au contraire la clamer, la hurler, la revendiquer cette différence, à s’en faire péter les cordes vocales. Il n’y a que comme ça qu’au bout d’un moment, la majorité des cons nous foutra la paix.
Il faut aussi, je pense, rappeler aux gens que les préférences sexuelles de chacun ne regardent pas nécessairement les autres et que le genre affiché n’est pas lié à la sexualité. Je connais des camionneuses hétéros, des butches bi, des lipsticks complètement gouines, des M to F gouines aussi et des transboys pédés… Je suis gouine, c’est un fait, c’est même une revendication. Aujourd’hui j’ai le cheveu très court, un peu rasé sur les côtés. Il y a deux ans j’avais les cheveux au milieu du dos. A vingt ans je les portais en l’air et de couleurs variées. J’ai eu la hèmche aussi, fatalement. J’aime les jeans et les baskets, mais je peux aussi porter d’autres sortes de vêtements. J’ai des bijoux mais je ne me maquille jamais, je n’aime pas ça.
J’ai aimé toutes sortes de filles, tous styles de femmes, des grandes, des petites, des grosses, des très maigres, des fems, des dykes, des boy-toys, des ultra-gouines, des futches, des butches, des assumées, des honteuses… toutes tellement différentes les unes des autres que je n’arrive pas à dégager de profil type, de genre justement. Des fois je suis très fifille, des fois je suis un peu macho-man. Je suis un intermédiaire. Je reste une femme génétiquement parlant et ça me va, mais j’aime la multitude que me permet la variation des genres. J’aime la liberté d’être ce que je veux en fonction de mon humeur. Je suis une individualité, multiple dans ses choix, respectueuse des diversités des autres (tout du moins j’essaye), curieuse des richesses que cela peut procurer, fière d’appartenir à la grande famille des gouines. Je refuse d’abdiquer ce que je suis sous la menace et la peur des autres.
Je pense aussi, par exemple, qu’il est plus important qu’une vraie loi soit votée en faveur du mariage homo, plutôt que le Conseil constitutionnel n’invalide deux pauvres articles de loi. Je veux que mon existence soit reconnue au même titre que celle des autres citoyens. Je veux une égalité de traitement. Les gens sont prêts et les mentalités continueront d’évoluer. Je me souviens d’une discussion avec mon père au sujet du mariage à l’époque de Bègles. “Quand je pense qu’en 68 on s’est battu pour détruire l’institution du mariage et vous, vous le réclamez… Enfin c’est vrai, il faut que chacun puisse avoir le choix de pouvoir refuser de se marier. Ce qui compte c’est l’égalité de traitement.”
Pour toutes ces raisons, j’aimerais vraiment pouvoir, le lundi 7 mai 2012, me réveiller le jour de mes 35 ans dans un pays débarrassé de Sarkozy et de ses acolytes aux idéologies rampantes et dégueulasses… Pour que ma vie d’adulte entre enfin dans le XXIe siècle des idées. Pour boucler la boucle. Parce que ce dimanche soir du 7 mai 95, ce soir de mes 18 ans, je me suis mise sur mon 31 : j’ai une chemise de soie rouge et une veste de costume noire sur un jean, une paire de Doc’s coquées à dix trous. J’ai fait ce que je trouve cool, j’ai passé le col de la chemise par dessus celui de la veste, un peu à la John Travolta dans Saturday Night Fever. Je vais rejoindre mes potes, c’est mon anniversaire après tout. Mon walkman radiocassette est dans la poche intérieure de ma veste. Je veux écouter les résultats des élections, vous vous souvenez ? Sur le pas de la porte, ma mère m’arrête. “Tu ne vas pas sortir comme ça ?” “Et pourquoi pas ?” “T’as vu comment t’es habillée ? Rentre au moins ton col de chemise.” “Fous moi la paix, j’aime bien, moi, comme ça !” “Mais enfin, on dirait… on dirait…” “On dirait quoi ?” “On dirait les vieilles gouines du bas de la rue !!”
Bingo maman, c’est exactement ce que je suis, une gouine.
Crashtest (Dyke Air)
DYKE AIR ce sont les soirées musicales “comme à la maison” de Fox de Bergerac et Crashtest, où Britney, Rihanna et Beyoncé côtoient sans vergogne Taxi Girl, The Vaselines et les Stinky Toys ; où tu viens avec qui tu veux, on n’est pas sectaire (même si on a une tendresse particulière pour toute individue queer) ; où tu découvriras que tes limites sont toujours repoussables notamment en matière de dance-floor et de boissons plus ou moins alcoolisées ; où Daho est le dieu de Fox et PJ la déesse de Crashtest ; où NERDS peuvent très bien s’enchainer avec Presidents of the USA et Gossip ; où Nirvana, les Beach Boys et Notorious BIG ressuscitent régulièrement…
DYKE AIR ça se trouve où ? Ca se trouve ici !