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Eileen Gray designer du modernisme lesbien

jeudi 9 mai 2013, par Yuri

L’expo Eileen Gray à Beaubourg est l’occasion de découvrir une artiste majeure et presque oublié. En parallèle, le livre "Eileen Gray and the Design of Sapphic Modernity" nous ouvre des prospectives inattendues.


Eileen Gray née le 9 août 1878 en Irlande et décédée le 31 octobre 1976 à Paris, est une artiste, designer, et architecte.

Portrait d’Eileen Gray circa 1910

Elle commence des études en peinture à Londres en 1901, mais s’intéresse rapidement à la laque et suit une formation à Paris sous la direction de Seizo Sugawara, maitre japonais de cet art.

Sa première exposition aura lieu en 1913 mais la succès arrivera plus tard, au début des années 20, quand elle ouvre une galerie ou elle expose et vend ses meubles et objets, et qui sera littéralement prise d’assaut par la "jet set" de l’époque.

Qui dit "jet set" parisienne de l’entre deux guerres dit "le club des lesbiennes chic" de la rive gauche. J’entends par là, Gertrude Stein et Alix Toklas, Gisele Freund, Djuna Barnes, Natalie Barney, Sylvia Beach, Adrienne Monnier, Colette, Janet Flanner et aussi leurs copains Matisse, Picasso, Hemingway, et James Joyce.

Radclyffe Hall et Una Troubridge à la foire des Bulldog, Paris 1928

Mais le succès ne l’empêche pas de se tourner vers l’art moderne, délaissant l’art déco. Elle apprend l’architecture et travaille avec son best friend Badovici sur une maison nommée E-1027 qui est une sorte de critique des principes de l’architecte Le Corbusier.

Une pratique artistique sans concession ainsi que le fait qu’il ne s’agissait finalement que du travail "amateur" d’une femme, font qu’Eileen Gray est plus ou moins oublié dans les années 1940 et 1950.

Pour la redécouvrir, deux méthodes infaillibles : La première, se dépêcher de monter tout en haut du Centre Pompidou, l’expo Eileen Gray termine le 20 Mai.

Catalogue expo Eileen Gray du Centre Pompidou

La deuxième, relire le texte féministe de Jasmine Rault "Eileen Gray and the Design of Sapphic Modernity" qui analyse les relations non-hétérosexuels de Gray, son mode de vie indépendant, et le réseau social d’avant-garde de la Paris moderniste.

Dans ce livre, l’auteure compare trois "œuvres artistiques" de Gray avec autant de canons lesbiens de l’époque : les paravents de laque de Eileen Gray avec des peintures de Romaine Brooks, l’architecture de la maison projeté par Gray, E.1027, avec le roman "Le Puits de solitude" de Radclyffe Hall de 1928, et la deuxième maison de Gray, Tempe à Pailla, avec le roman Nightwood de Djuna Barnes.

Peter, a Young English Girl by Romaine Brooks

Dans son livre, Rault insiste sur des aspects que d’autres biographes et critiques de Gray n’ont pas pleinement explorées - ou dans certains cas totalement ignorée (i.e. cette expo à Beaubourg). En comparant les œuvres de Romaine Brooks, Radclyffe Hall et Djuna Barnes aux desseins de Gray, Rault démontre comment ces femmes ont établi un nouveau lexique pour résister aux interprétations rigides du lesbianisme et du modernisme.

Ellen DeGeneres by Annie Leibovitz

La conclusion du livre est que l’ouvre de Gray est en soi une critique des théories de l’architecture moderne et de l’identité sexuelle (cf. la "New Woman" de l’époque ?). Amen

L'avis FFF:

Si on connait l’histoire (merci LBV !) on reste assez perplexes face aux peintures de Le Corbusier dans la villa E.1027 : pourquoi toute cette "violence obsessionnelle, envahissante, et sexualisée" que Le Corbusier éprouve à l’égard du travail d’Eileen Gray ?