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ENFERMEES VIVANTES

mercredi 5 janvier 2011, par Sophie

Le Monde Diplomatique du mois de janvier consacre sa double page centrale à un article sur un centre de détention de femmes au Mexique. Extrait.


Près de deux mille détenues subissent la violence diciplinaire de l’univers carcéral de Santa Martha Acatitla, près de Mexico. Cathy Fourez, maitre de conférence à l’université de Lille-III a enquêté sur les conditions de vie de ces détenues.

"Avant leur arrestation, beaucoup étaient des femmes au foyer ; d’autres travaillaient à la chaine dans une usine ; un nombre considérable subsistaient grâce à la prostitution. Selon l’enquête sur les facteurs criminogènes réalisée par l’avocat José Luis Castro Gonzalès, responsable de l’atelier de menuiserie du pénitencier, 86% des détenues ont été agressées physiquement pendant leur enfance. Sur ce pourcentage, 55% ont été violées et abusées par leurs parents ou par un membre de leur famille ; 54% ont été retirées du domicile parental ou l’ont fui ; et 70% ont été violentées par leur conjoint. [1]

Le cheveu ondulé et rebelle, les joues dodues, les hanches rondouillardes, la démarche câline, Isela, âgée d’une vingtaine d’années, arrive pimpante et volubile à l’atelier d’écriture. Lorsqu’elle a été écrouée, son corps était décharné, miné par la drogue, l’alcool, et écorché par le commerce sexuel. Isela est née dans la rue, a vécu dans la rue, a été arrêtée dans la rue. Mais pas dans n’importe quelle rue :la sordide, la précaire, celle qui se respire journellement comme un progressif et irrémédiable suicide, où l’on ne retombe qu’au plus bas, où l’on n’a pas le choix. La venue au monde d’Isela était déjà une exécution ; son existence, une vie sans place ; son refuge, un fatras de déroutes et de néants. Dehors, elle a passé sa vie au fond d’un trou de désordres et de scandales sans portes de sortie. Lors d’une session sur la rédaction d’un journal intime, elle dit un peu de son corps ravagé, et lâche : "Ce n’était pas moi qui était violente, mais la vie." [2]

La voix d’Isela, ardente et radieuse, est lacérée de graves traumatiques qui ne cachent pas qu’elle a été conçue dans la destruction et qu’elle s’est construite d’attentats continus. C’est dans la peine de l’infraction qu’Isela tente de comprendre et de soigner les achoppements d’un corps pour elle encore en chantier ; c’est en prison, et donc dans l’enfermement spatial, qu’elle fait de ses décombres un matériau de reconstruction. Isela souffre de la privation de liberté et de l’isolement, mais sa première famille, elle l’a connue au cœur de l’emprisonnement. Évoquant sa cellule lors d’un atelier, elle explique : "Avant je n’avais que mon cœur comme chez-moi ; aujourd’hui je l’ai toujours, et je le partage avec vous. Mais maintenant j’ai une vraie maison. J’aimerais bien vous montrer ma maison !" Et elle commence à fabriquer sa nouvelle "maison" en concevant son corps comme un abri, et son environnement carcéral comme un lieu d’appui.

Ethel, pull-over d’un bleu intense jeté sur le dos, lunettes fumées arrimées à ses courts cheveux drus et ondulés :"J’ai trois enfants que j’adore éperdument ; mais c’est ici, dans cet enfermement qui me déshérite chaque jour de ma vie de mère, qui m’a ôté mon autonomie gestuelle, que j’ai pu exprimer et assumer, pour la première fois de mon existence, ma véritable orientation sexuelle. Mon lesbianisme refoulé s’est libéré chez nous, parmi les femmes, des regards de la rue et des proches". Une autre explique : "Moi, je ne suis pas lesbienne, mais j’aime que l’une de mes camarades de cellule me touche, s’intéresse à moi, me donne un baiser, m’accompagne, me prenne dans ses bras, me dise des mots d’amour."

L’intégralité de l’article est en vente libre chez tous les kiosquiers de France, des DOM-TOM, ou en commandant directement sur le site : le monde diplomatique.fr. A 4,90€ les 32 pages, c’est pas cher !

Photo logo de l’article : Nella città l’inferno (Lenfer dans la ville) de Renato Castellani de 1958 avec Anna Magnani.

Notes

[1] Enquête réalisée par José Luis Castro Gonzalès et communiquée par le professeur de collages du Centre féminin de réadaptation sociales de Santa Martha Acatitla, Luis Manuel Serrano Diaz, lors de deux entrevus en août 2009 à Mexico.NDA

[2] Les parole des détenues retranscrites ici ont été formulées lors de sessions de l’atelier d’écriture qui ont eu lieu en juillet 2009 dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. NDA