"Un Crossdresser est un travesti clandestin. Dans la vie, Nicole, Lolita, Auxane et Virginie Perle sont des hommes, hétérosexuels, mariés avec enfants, exerçant un travail où ils s’épanouissent entièrement. Ce film fait de secrets et de confidences, montre par sa façon de « mettre en scène » leur transformation intégrale, le plaisir qu’ils prennent à cette activité clandestine. "
Interview de la réalisatrice :
" Comment vous êtes-vous intéressée au “crossdressing” ?
Comme beaucoup de gens, j’avais tendance à faire l’amalgame entre travesti et transsexuel et à reléguer cette question au niveau des travelos de chez Michou chantant en play-back avec des strass et des boas de plumes, ou aux « trans » du bois de Boulogne pour la plupart brésiliens et prostitués. Et par-dessus le marché, ça ne faisait aucun doute, les “trans” étaient tous des homosexuels, comment peut-on avoir envie de s’habiller en femme si ce n’est pour séduire les hommes ? J’étais donc dans le cliché et dans l’ignorance jusqu’à ce qu’un jour de Juin 2005, dînant par hasard dans un obscur restaurant du fin fond du 19ème arrondissement, je vois un travesti franchir la porte. Puis un deuxième, un troisième... Une bonne quinzaine en tout. Des jeunes, des vieux (disons entre 27 et 67 ans), des gracieux, des mastocs, des créatures ingrates, des troublantes Beaucoup de « Tootsie » et de « Mrs Doubtfire ». Surprise par cette assemblée qui parlait fort avec des voix masculines tout en faisant des effets de jambes, de cheveux et de bijoux, je ne pus m’empêcher de lier connaissance. Manifestement flattées (ou curieuses) qu’une femme s’intéresse à leur assemblée, elles m’invitèrent à prendre un verre à leur table et m’expliquèrent qu’elles se réunissaient une fois par mois dans ce restaurant. Une d’elle me donna même son numéro de portable. Quatre semaines plus tard j’étais au rendez-vous.
Vous avez été intégrée assez vite ?
Oui, parce qu’elles ont vu que je ne posais pas sur elles un regard voyeur. Là commença un réel échange : elles avaient besoin de parler, d’expliquer de justifier leur transformation, surtout auprès d’une « génétique », comme elles m’appelaient. Ce qui me plu, c’est que ces femmes/hommes n’étaient pas des cas sociaux, ni des individus en pleine déprime, mais bel et bien des hommes qui s’assumaient pleinement dans la vie de tous les jours, avec femme, enfants, et une situation bien établie : chef d’entreprise, dentiste, professeur d’université, architecte, ingénieur, avocat d’affaires, mécanicien spécialisé dans le réglage de voitures de courses
Comment vous est venue l’idée du film ?
C’est au bout de ma cinquième incursion dans leur milieu que je réalisais à quel point leur double vie était troublante et émouvante dans leur façon d’accepter qu’ils ne seraient jamais des « créatures de rêves » parfaites, mais qu’il leur suffisait d’être des « impressions de femme » une fois de temps en temps pour continuer à vivre normalement. Je commençais donc à imaginer ce que je pouvais faire de cette coïncidence : elles et moi le même jour, au même endroit, à trois bons quart d’heure de métro de chez moi.
Pendant un an, je les vis régulièrement, les connaissant par leur prénom féminin mais rarement sous leur identité masculine. Je devins même extrêmement proche de deux d’entre elles (l’ingénieur et l’avocat) qui, m’ayant donné leur confiance, acceptèrent de me fixer rendez-vous dans la semaine sous leur apparence de garçon.
C’est le jour où je retrouvais Nicolas/Marjorie, ingénieur en aéronautique, dans la file d’attente d’un cinéma sans le/la reconnaître du tout que mon projet pris forme : CROSSDRESSER ou la transformation. Comme un écho, fin Juillet 2005, la parution d’un article sur la sortie du livre « CASA SUZANNA » me conforta dans le fait que mon idée était bonne et pouvait en intéresser plus d’un. C’est alors que commencèrent l’écriture et la « pré-préparation » de CROSSDRESSER.
Comment les avez-vous convaincues de participer au film ?
Étant donné le côté très clandestin de leur activité, nous avons passé un contrat moral, dont l’une des clauses principales était qu’on ne les reconnaisse jamais en homme. Autrement dit, je ne les filmais jamais de face avant qu’elles ne se considèrent comme suffisamment transformées. C’est d’ailleurs la pose de la perruque qui, pour elles, les fait basculer de l’état d’homme à celui de femme. Je commençais donc une série de rencontres et d’échanges personnels avec ces crossdressers pour mieux connaître et mieux comprendre mon sujet, pour voir ce qu’elles accepteraient de faire et jusqu’où je pourrais aller. Cette « infiltration », si l’on peut dire, du milieu parisien me prit un an.
C’est un contrat moral qui, de toute évidence s’est aussi mué en parti pris plastique.
Oui, c’est certain, mais la forme du film me vint d’emblée en même temps que le fond :
- les filmer chacune leur tour dans un lieu unique : une salle de bains ou une chambre, endroit par excellence où l’on se prépare. Mais jamais la même salle de bains ou la même chambre pour brouiller les pistes, autant pour elles que pour le spectateur.
- Les faire arriver dans ce lieu de déroulement de l’essentiel du film par de longs couloirs à peine éclairés, ou par un escalier un peu inattendu, ou un ascenseur soigneusement repéré – cabine ascendante toujours en prise avec l’inconnu- pour le côté clandestin de l’opération.
- Et enfin, les filmer de dos, ou à contre jour, ou dans la pénombre, tant qu’elles sont en garçon. Faire un filmage morcelé de leur corps ou de leur visage pendant tout le temps de préparation.
- Ne les voir au grand jour, en pleine lumière et de face que lorsqu’ils sont devenus l’autre, la femme, la crossdresser aboutie.
Le dispositif du film est assez radical. On a l’impression que la parole est indissociable du geste, du rituel.
Le rituel, c’est ce qui les intéresse le plus, le moment où elles voient la femme naître dans le miroir. Le plaisir d’enfiler les bas, de mettre une petite culotte en satin, de sentir des seins sous leur pull ou leur robe. Mon dispositif colle à leur rituel très personnel et, pour moi, c’était d’abord cela qu’il fallait mettre en scène. Le rituel du plaisir, en somme. "
La fiche technique et l’intégralité de l’interview sur : crossdresser-le film.com
DEBAT AVEC LA REALISATRICE jeudi 25 mars au cinéma reflet médicis à 21h10.