jeudi 30 juillet 2009
Stone Butch Blues par Leslie Feinberg
Je voulais être comme les autres. J’aspirais à être comme les adultes voulaient que je sois, pour qu’ils m’aiment. Je suivais leurs règles et me donnais du mal pour leur plaire. Mais quelque chose en moi les amenait à lever les yeux au ciel et à froncer les sourcils. Personne n’avait condescendu à donner un nom à ce qu’il en était de moi. C’est pourquoi j’avais si peur que ce soit quelque chose de grave. A peine plus tard je connus la mélodie du perpétuel refrain : « C’est un garçon ou une fille ? »
(...)
Un épagneul poussa son museau à travers une maille du grillage. Je lui carressai la tête. Je cherchai du regard le terrier que j’aimais tant. Il n’était venu qu’une fois à la grille pour me saluer, et avait flairé prudemment. D’habitude il était couché là, la tête sur les pattes, quoi que je fasse pour le séduire aussi, et il me regardait avec des yeux inquiets. Je l’aurais bien ramené à la maison.
« T’es un garçon ou une fille ? » demandai-je à l’épagneul.
« Ouaf, ouaf ! »
Je courus jusqu’à l’étang, pour attraper des têtards avec un verre. Je m’accoudai et regardai les petites grenouilles qui grimpaient sur les pierres chauffées par le soleil.
« Croa, croa ! » Un énorme corbeau noir tournoya dans l’air au-dessus de moi et atterrit sur un rocher tout proche. On s’observa l’un l’autre en silence.
« Corbeau, t’es un garçon ou une fille ? »
« Croa, croa ! »
Je ris et roulais sur le dos. Le ciel était bleu vif. Je fis comme si j’étais couchée sur les nuages blancs en coton. La terre dans mon dos était humide. Le soleil brûlait, la brise me rafraîchissait. J’étais heureuse. La nature me tenait ferme et n’avait apparemment rien à me reprocher.
(...)
La musique s’éteignit, et tout le monde râla. Puis la police prit le club d’assaut. Je maintins ma main devant mes yeux pour que la lumière du projecteur ne m’aveugle pas, mais je ne pus tout de même pas voir ce qui se passait. J’entendis des cris et le bruit des chaises et des tables renversées. La seule sortie était barrée. Cette fois il n’y avait pas d’issue. Avec mes seize ans je n’avais toujours pas la majorité.
J’ôtai lentement mon nouveau veston bleu, le pliai comme il faut et le posai sur le piano à l’arrière de la scène. Pendant un instant je pensai enlever ma cravate, parce que je me disais que ce serait peut-être plus facile pour moi ensuite. Mais bien sûr il n’en était rien. Au contraire, la cravate me donnait un sentiment de force face à ce qui m’attendait. Je relevai mes manches et me dressai sur la scène. Un flic m’empoigna et me ligota les mains dans le dos. Un autre frappa Booker qui sanglotait.
(...)
Au début c’était génial. La vie n’était plus une pluie de coups que je devais essuyer. Mais je découvris très vite que mon nouveau rôle d’homme ne signifiait pas seulement être immergée sous la surface, mais que ça voulait dire être enterrée vivante. A l’intérieur j’étais toujours la même, prisonnière de toutes mes blessures et de mes peurs. Mais extérieurement je n’étais plus la même.
Je me souviens encore d’un matin où je sortais de l’usine de macaronis juste avant le lever du soleil. Je remontais Elmond Street en direction de ma Triumph. Une femme devant moi sur le trottoir lança en me voyant des regards nerveux autour d’elle. Je ralentis mes pas. Elle traversa la rue et s’éloigna à la hâte. Elle avait peur de moi. Alors je commençai à comprendre que mon rôle d’homme changeait presque tout.
Deux choses ne changèrent pas : je devais toujours gagner ma subsistance, et je vivais toujours dans la peur, seulement maintenant c’était la peur qu’on me démasque.
(...)
Grant soupira, amère. « Avec beaucoup de ces jeunes, tu ne peux pas reconnaître ce qu’elles sont, avec leurs maudits cheveux verts et leurs épingles de sûreté au visage. »
Je haussais les épaules. « Qu’est-ce que ça peut faire ? »
« En tous cas je suis heureuse de ne pas avoir pris d’hormone », proclama Grant.
Je mordis violemment dans ma paille en plastique. « Et pourquoi, Grant ? » Je m’armai.
« Je veux dire, tu n’es ni une butch ni un gars. Mais tu as l’air d’un gars. »
A table tout le monde se figea, mais personne ne répondit. Je fis un cercle de la paille. « Attention, Grant », mis-je en garde. « Ce que tu vois là est ton propre reflet. »
Grant rit. « Je ne suis pas comme toi. Je n’ai pas fait de transformation. »
L’étendue de ma colère était démesurée au regard de la situation. Je pouvais formellement la goûter ; elle était amère sur ma langue. Je me penchai en avant. Tout le monde retenait son souffle. Je parlai d’une voix basse, menaçante. « Jusqu’où veux-tu aller, Grant ? Combien de toi-même es-tu prête à abandonner pour pouvoir te distancier de moi ? »
Extrait de "Insurrection en territoire sexuel" de Wendy Delorme. Editions Au diable vauvert, 2009
BABY DOLL , DADDY-GIRL
Daddy te fait le petit déj’ pendant que tu roules dans le lit avec le chat à la recherche des dernières miettes de sommeil. Tu détestes te lever tôt. Daddy a acheté du café hier exprès pour toi. Et des mûres et du lait de soja à la vanille. Il va te raccompagner chez toi, tu seras à l’heure pour aller travailler. Personne d’autre que lui ne sait que tu as douze ans, alors tu passes tes journées dans un bureau pour payer ton loyer. Tu joues à être adulte depuis dix ans déjà mais tu n’as toujours pas passé ton permis, alors c’est lui qui conduit. Avant d’embrayer la machine, il crie par la fenêtre sa joie d’être avec toi, de ce réveil matinal avec ton visage blotti au creux de son aisselle. Daddy a l’air concentré au volant. Quand il te regarde, il sourit. Tu passes ta main sur sa nuque et il te demande "You know what are you doing ?"shhht, oui je sais ;" Tu sais.
Daddy has a big cock. Hier soir il t’emmène dans sa chambre et te jette sur le lit ; Tu n’as plus de mots pour dire. Tu perds tout moyen de communication avec l’extérieur ; Tu écris dans le petit carnet rouge qu’il t’a donné "Daddy has wasted my mind." Daddy t’appelle "petite pute" et tu as envie de lui ausitôt. Little whore. Little tart. Et ça sonne tellement juste et ça résonne au creux de toi tellement fort quand Daddy va et vient dans ton ventre.
Daddy t’écrit des poèmes et te dit qu’il ne pense qu’à toi. Daddy est cruel. Daddy te baise jusqu’à ce que toute ton énergie t’ait quitter. Daddy te dit "Come on fucker" quand il t’intime de le baiser. Et il n’arrête pas de bouger, impossible de le saisir dans la jouissance. Daddy paye tes cocktails et t’invite au restaurant. Daddy retrouve les boucles d’oreilles que tu as perdues dans les draps pendant qu’il te baisait. Tu veux que Daddy te traite mal. Te batte et mette sa main entière à l’intérieur de toi, te perce la peau du tranchant de son cran d’arrêt.
Daddy te demande dans la voiture sur le chemin de chez toi "Do you like your dad ?" Yes my dad is my hero. Pourquoi ? "Just to check."
Tu n’as pas été violé par ton père. Tu n’as pas été battu par tes parents. Enfance heureuse. Middle class. Première de la classe. Daddy est une femme de vingts ans ton aînée. Et tu emmerdes ta psy.