GRISÉLIDIS RÉAL dans "CARNET DE BAL D’UNE COURTISANE". Edition Verticales.
"Les voilà toutes deux, Carla et son double, l’une blonde, l’autre rousse, parées pour le départ, faisant des mines et tournoyant comme des frégates qui appareillent.
J’imagine leur retour à la niche conjugale, leur chute sur des lits bas à coussins de fourrure. Quotidien, minutieux, le lent dépouillement commence. Tombent les perruques, les souliers cambrés d’où s’échappent enfin des pieds d’hommes meurtris, aux chevilles carrées douloureuses.
Elles se font des mignardises, dégrafent les jupes, les ceintures, détachent les soutiens-gorges, roulent précautionneusement les bas le long des rudes mollets épilés. Les bracelets, les bagues, les pendants d’oreilles fabuleux vont rejoindre sur la coiffeuse tout l’arsenal des fards, des flacons et des brosses, parmi les cendriers pleins de Kleenex souillés.
Les faux-cils tombent comme des touffes d’herbe noire sur la neige du lavabo. La poudre couleur chair, le bronze crémeux du fond de teint cèdent à l’onction des cotons humides.
Le plâtras fatigué, blafard, auc creux ombrés de barbe, de la peau de trés vieux garçons apparaît. Sur les torses las, les seins trop durs, nourris de silicone, se mettent au repos. Sous le slip de dentelle se lovent d’étranges racines charnues...
Ils s’embrassent peut-être, après une dernière cigarette, un dernier verre de whisky, et s’abandonnent au sommeil, comme deux frères jumeaux enlacés l’un à l’autre, bercés par de vieux rêves chatoyants et maternels."
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