TESTO JUNKIE, sexe, drogue et biopolitique. Traduit de l’espagnol par l’auteur : BEATRIZ PRECIADO.
Parution le 14 octobre 2008 chez Grasset. 20€ achat indispensable.
Extrait du chapitre "Testo trafic", p184.
" La féminité se dévalue deux fois plus vite que la masculinité. Autrement dit, une femme (bio ou techno) de quarante-cinq ans sort du marché hétérosexuel alors qu’un homme peut atteindre soixante-cinq ans avant de devenir obsolète. Pour calculer l’âge réel d’une femme dans l’économie hétérocapitaliste, il faut lui ajouter quinze ans, afin de la rapprocher de son équivalent masculin, puis lui soustraire deux années pour chaque supplément de beauté ( taille des seins, minceur, longueur et épaisseur des cheveux, etc.) et en ajouter deux pour chaque handicap social (divorce, nombre d’enfants : chacun compte deux ans de plus, chômage, etc.). Prenons un exemple : Julie a trente-deux ans, c’est une bio-femme divorcée avec un enfant à charge, elle se tient en forme, fait du yoga, elle est jolie mais n’a pas un corps parfait, elle est mince et travaille dans une compagnie d’assurances : 32+15+2+2-2-2-2=45. C’est la dure réalité. Elle devra cesser de croire qu’elle est une fraiche créature de trente-deux ans, parce que son âge réel, dans l’économie hétérocapitaliste, est de quarante-cinq ans. Bye bye, Julie. Une autre possibilité serait de passer sur le marché de l’économie lesbienne parallèle, où l’âge réel diminue prodigieusement. Une femme qui, dans l’économie hétérocapitaliste, a atteint les 45 ans, peut réintégrer le marché lesbien avec un statut quasiment adolescent. Bingo."
Extrait du chapitre "chiennes alpha", p.83-84 de la présente édition.
"Depuis l’enfance je possède une bite fantasmatique d’ouvrier. Je réagis à tous les culs que je vois bouger. Peu m’importe que ce soit un cul de minette ou de maman, de bourgeoise ou de paysanne, de pédé, de nonne, de lesbienne ou de salope. La réponse est immédiate dans mon sexe cérébral. Toutes les filles, les plus belles, les plus hétérosexuelles, celles qui attendent le prince charmant plein de testostérone naturelle, sont en réalité destinées, à leur insu, à devenir des chiennes pénétrées par mes godes. Jusqu’à l’âge de douze ans j’étudie dans un collège catholique non mixte. Un vrai paradis lesbien. Les meilleures petites sont pour moi. Avant même d’avoir eu le temps de traverser la rue pour rencontrer les garçons du collège d’en face, elles ont déjà mis la langue dans ma bouche. Elles sont miennes. Je dois pourtant préciser que cette gravitation de la gent féminine autour de moi n’est pas due à ma beauté. A quatre ans on me diagnostique une déformation maxillo-faciale qui s’accentuera radicalement pendant mon adolescence, jusqu’à devenir grotesque. Avec les années je deviens un monstre myope au menton prononcé, aux bras et aux jambes trop longs et dramatiquement maigres. Mais pendant une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence, sans doute grâce à quelque secret inconnu, les filles se sentent attirées par moi. Elles disent qu’elles ne sont pas lesbiennes, se lamentent, elles pleurent après s’être laissé tripoter les seins, elles ôtent leur culotte dans ma chambre et puis arrêtent de me parler, elles me dénoncent aux professeurs après s’être enfermées dans les toilettes avec moi en me demandant de leur raconter des histoires cochonnes. Mais elles gardent les lettres que je leur envoie, elles collectionnent les petits carreaux de céramique où j’écris leur nom au feutre rose. Elles se battent comme des guerrières possédées pour accaparer mon attention dans la cour de récréation. Elles sont à moi. Marquées pour toujours au feu de la Révolution."